Je ne connais qu’un seul endroit, mais c’est pas fréquentable, où l’on joue ce football-là, aussi noir que le sable. Je connais qu’un seul pays, qu’en est vraiment capable. C’est profond, plus fort que cela, il n’est pas responsable. C’est le football du Brésil, impétueux et solidaire, qui nous vient de la terre jusqu’aux îles, c’est un champ de poussière.

Dialecte

Le football est avant tout une histoire de souvenir. D’aussi loin que je me souvienne, le football est pour moins relié au Brésil, à ce pays fait de poussière et de larmes. Enfant, déjà, j’avais la nostalgie de ce temps perdu. Des Pelé, des Garrincha, des Friedenreich, des Vava, des Didi… Pour moi, le football n’est pas britannique, il est né entre Florianopolis et Salvador, il est né dans les montagnes du Minas Gerais, dans la baie de São Paulo, le long du sable qui court de Recife à Olinda. Et c’est mon football. Mon football vit d’exploits incessants. Et il vit, et il prie, et il meurt au son des vagues qui se fracassent contre le rivage.

Si j’aime le football, c’est parce que je comprends sa langue. Et si je comprends sa langue, ce n’est pas parce que je la parle. Mais c’est parce que j’ai bien voulu l’écouter. Nostalgie d’un temps où tout était si simple, où le football se résume à des drapeaux. Où la Coupe du Monde se dispute dans la cour de l’école.

Quand j’étais tout gamin, le Brésil était au sommet de son art. Les étoiles dans les yeux, je me souviens de me penser plus brésilien qu’un gamin de Fortaleza, le cœur plus auriverde que si j’étais né à Curitiba, à deux pas du jardin botanique. Et j’ai rêvé, rêvé d’un jour être l’un des leurs. Oui, de pouvoir moi aussi être un torcedir de la Seleção. De pouvoir fièrement dire « chez moi » en parlant du Brésil. J’ai pu le dire une fois, et j’aspire à pouvoir le dire à nouveau.

Saudade

A tristeza existe em francês. A alegria também existe. Mas ao francês faltam as palavras para expressar este sentimento poderoso que conhecemos no Brasil, que conhecemos em Angola, São Tomé, Moçambique e talvez até no Timor Leste. Saudade. Saudade. Como se nos estivesse faltando algo. Saudade. La tristesse existe en français. La joie existe aussi. Mais le français manque de mots pour exprimer cette sensation puissante que l’on connaît au Brésil, que l’on connaît en Angola, à São Tomé, au Mozambique et peut-être même au Timor Oriental. La saudade. La saudade. Comme s’il nous manquait quelque chose. La saudade.

Tant que l’on n’a pas compris ce concept primordial pour la construction de l’identité brésilienne, je ne pense pas que l’on puisse parler de football brésilien. C’est notre nostalgie à la française, notre nostalgie et notre mal du pays à la fois. Le Brésil est empli de cette immense tristesse fondamentalement intraduisible. La seule traduction exacte, c’est au Cap-Vert qu’elle existe : sodade.

On ne peut pas oublier ce qui nous a construit. Et on ne peut pas non plus renier nos valeurs. La nostalgie nous rattrape toujours, nous demande de lui venir en aide. Alors, doucement, si l’on ne peut pas réaliser ses rêves de gloire, ses rêves de bonheur, on pleure en silence du destin que nous accomplissons parfois contre notre gré. Le football brésilien, avant même d’être un art ou un sport, est un sentiment, un état d’esprit, un état d’être. Être toujours prêt à se défendre, le malandro, toujours prêt à la fuite. A la fois vagabond et coquin, farceur et génie, bandit et troubadour. Un sentiment brésilien.

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« Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on le peut reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui ». (Jonathan Swift, 1667-1745)