Le football atteint son jubilé quand il se transforme en art. Véritable solennité célébrée hebdomadairement, à l’image de l’appel de la trompe, tous les dix lustres, chez les anciens hébreux. Et art, bien sûr, par son attache aux sens, à l’intellect, à la nature profonde de l’être humain. Art jubilatoire, c’est l’expression profonde de l’être face au néant.

Chroniques de l’artiste

Qu’est-ce qu’un artiste si ce n’est quelqu’un qui crée pour le simple plaisir de créer ? Un artiste crée quelque chose de plus grand que lui, de plus profond que lui, de plus ample que lui. C’est le propre de l’artiste que d’être capable de créer pour les autres. A quoi sert l’art s’il n’est pas destiné aux autres ? Le footballeur est précisément cela : son expression sur le terrain est destinée à tous les autres, sauf à lui. Sur son terrain de football, le joueur est le seul à ne pas pouvoir se voir, le seul à avoir une vision incomplète de ses actions. Et c’est bien en cela qu’il révèle sa puissance et son unicité. Car il n’y a pas deux êtres humains identiques, et encore moins deux artistes à l’image l’un de l’autre.

Leonardo da Vinci a été copié des milliers de fois. Le génial florentin Michelangelo di Lodovico Buonarroti Simoni a été l’inspiration de centaines d’autres sculpteurs, de peintres, d’artistes en tout genre. Il en va de même pour Véronèse, Delacroix, Le Bernin, le Titien, et tant d’autres, et tant d’autres dont le talent n’a d’égal que la lumière du jour. Et c’est cela qui fait d’eux des artistes et des personnes hors du commun. Mané Garrincha a inspiré des générations entières de dribbleurs, d’attaquants, d’ailiers. El Trinche Carlovich a redonné au football son expression populaire la plus pure. Mais ils ne sont pas les seuls. Ronaldinho Gaúcho, Kazimierz Deyna, Lev Yashin : tous ont, à leur manière, rendu le football différent. Meilleur peut-être, mais différent assurément. Et ils ont été copiés à la façon des artistes de la Renaissance.

Art jubilatoire, célébration de l’être

L’art jubilatoire célèbre intimement l’être artistique, et en cela l’être humain. Car célébrer quelque chose, c’est célébrer la chaîne d’éléments qui ont conduit à l’accomplissement et à l’aboutissement de cet acte. Il est inenvisageable de célébrer Pharaon sans penser aux hommes libres et aux esclaves morts pour lui, par lui et contre lui. Il en va de même pour le football. L’art contenu dans chacune des actions des footballeurs est donc ontologiquement lié à leurs actions sur le terrain mais aussi à l’ensemble de réactions ayant conduit à ces actions. Du choix de la chaussure jusqu’aux premiers ballons touchés à peine gamin, tout représente l’art du footballeur.

Mais le football en tant qu’art jubilatoire possède un côté populaire. Si l’on parle de célébration, c’est bien parce que des individus extérieurs à l’action viennent valoriser, encourager et populariser l’action même du footballeur. En un sens, le football ne serait pas un art s’il n’y avait pas, à l’extérieur du terrain, des hordes de supporters, jeunes et moins jeunes, pour venir encourager une équipe, fêter un but, enrager contre l’arbitre. Mais la célébration doit rester empreinte de joie : on ne peut pas célébrer dans la haine, la violence ou la méchanceté.

En conclusion, l’art jubilatoire des footballeurs est un art qui assemble et qui rassemble. Tout une structure sociale se construit autour d’eux et grâce à eux, sans qu’il n’en fassent entièrement partie. Et c’est bien là l’ambigüité de la chose. Un footballeur n’est un artiste que parce qu’il refuse de se présenter comme tel. Mais c’est bien là son rôle. Donner simplement du bonheur à ceux venus l’encourager, le supporter et le célébrer.

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« Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on le peut reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui ». (Jonathan Swift, 1667-1745)