Derrière notre télévision, nous avons souvent l’impression de voir les footballeurs comme dans un film. Mais pourtant, ce sont des êtres comme nous. Des êtres pour la mort. Dans ce billet, je vais me placer dans la peau d’un footballeur professionnel. Mais au lieu de vous conter les entraînements et les matchs, je vais plutôt vous conter la dernière heure de ce footballeur polonais. Dans une espèce de flash-back, cela, je l’espère, confirmera le fait que comme nous, les footballeurs sont des êtres humains avant d’être des images sur les téléviseurs du monde entier. Et que le football est une belle question de change… Le tout sur une adaptation de la leçon que m’a donné le grand Jacek Kaczmarski.

Que sont-ils devenus ?

Que sont-ils devenus, ce qui étaient dans ma classe ? Peut-être qu’il faut demander à Adam, qui s’est révélé au Maccabi de Tel Aviv. Parce qu’aujourd’hui, c’est compliqué de garder la tête au-dessus de l’eau. C’est même dur de faire une belle carrière, de vivre sa vie. Que sont-ils devenus, ceux qui ont signé leur premier contrat professionnel en même temps que moi ? Wojtek est en Suède, il a échoué à percer dans le monde professionnel. Et aujourd’hui, il travaille dans un porno-club. Il m’écrit : « il me payent bien, bien mieux que mon contrat amateur. Et dans les deux cas, je suis payé pour quelque chose que j’aime faire ».

Kaska et Piotrek sont au Canada. Ils ont réussi à trouver des beaux contrats là-bas. Staszek fait des progrès dans une université américaine. Pawel, lui, s’est fait à la vie parisienne. Mais Goska, comme Przemek, sont dans une situation un peu plus compliquée. Parce qu’ils essayent, avec leur troisième frère, de convaincre leur club de les libérer de leur contrat pour pouvoir aller jouer à l’Ouest de l’Europe. Et leurs appels à la justice sont assez peu efficaces pour le moment…

Magda, elle, la talentueuse latérale, habite à Madrid. Elle va d’ailleurs se marier à un espagnole. Elle a eu plus de chance que Maciek, qui a perdu la vie en décembre. Il était en train de visiter une maison, pour sa reconversion. Car le football ne lui a pas tout donné. Janusz, lui, le fougueux, est devenu un joueur de devoir, mais si bourré de talent… Sa vie a changé depuis que son frère s’est pendu.

Êtres et néants

Marek a mal tourné. Le football l’a tué, et l’a laissé parmi les êtres les plus exclus de la société. Il est en prison. Car Marek a refusé de trahir son club de cœur, a fraudé, et s’est fait prendre. Mais j’écris leur histoire, alors que je vais mourir… Ils sont tous là, à moins qu’il manque Filip. Filip est devenu numéro dix au Lokomotiv Moscou. Il récolte les récompenses, mais revient en Pologne dès qu’il le peut. Et il a été félicité par le premier ministre.

J’y ai pensé, à toute cette génération, qui a quitté le centre de formation en même temps que moi. En exil, au pays, dans une tombe… Mais quelque chose a changé. Car tout se rapporte à leur vie… J’ai pensé à toute cette génération… Ils ont tous grandi, et sont devenus mature. Ils ont perdu leur innocence, parfois aussi leur talent. Ce ne sont plus des garçons, mais bien des hommes. Ce n’est plus une gamine, mais une femme.

Notre jeunesse viendra toujours au dessus de nos têtes. Ce n’est la faute de personne s’ils n’ont pas réussi dans le football. Ce n’est la faute de personne. Ils ont tous des buts plus ou moins héroïques dans leur vie. Quelque chose a changé…

Je ne sais pas…

Ces êtres, que je regarde avant de mourir… Je ne sais pas quel rêve je fait, quelle étoile est au dessus de ma tête en train de briller. Quand je repense à ces faces familières, je cherche encore les faces des enfants. Quand je regarde par dessus mon épaule, personne ne m’appelle plus « mon ami ». Peut-être quelqu’un voudra faire un toro avec moi ? Ou même simplement à cache-cache…

On a grandi sur nos propres racines. Nos propres feuilles, chacun individuelles, ont grandi. Mais nos racines, bien sûr, en exil, au pays, six pieds sous terre… Elles sont là. En dessous, à côté de moi, vers le soleil, dans les déchets, qui se souviendra d’eux ? Qui se souviendra que nous avons été une glorieuse génération, qui en a fait rêver plus d’un ? Ce n’est qu’un seul et même arbre.

Qui suis-je ? Un de ces êtres, sûrement. Mais pourquoi moi, pourquoi Kazimierz, pourquoi eux ? Et le football nous a fait avoir une belle vie, mais que nous reste-t-il au moment suprême ? Je vais mourir, il va mourir, nous allons mourir. Une dernière fois, je veux remercier mes supporters. Adieu.

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