Flagrante ou inexistante, une faute en plein match de football est désormais systématiquement accompagnée d’un sketch du joueur. Les anti-football aiment le souligner, les footeux ont tendance à le banaliser. Bien que ce rite soit difficile à effacer, son apport contre-productif au jeu et son aspect toujours plus néfaste au rendu spectaculaire d’un match, légitiment une mise en examen.

Elle est partout. En Ligue des champions ou au city-stade, en pleine carrière professionnelle ou au sortir du berceau. Le football moderne ne va plus sans la simulation. Qu’elle soit partielle ou totale, l’intention reste abjecte dans les deux cas. Non seulement elle est devenue un réflexe pour une grande majorité de joueurs, mais surtout ces derniers en viennent même à la programmer au départ d’une action de façon à chercher le coup de sifflet de l’arbitre plutôt qu’une solution dans le jeu. Voilà une drôle (et triste) manière d’atteindre ses objectifs.

Mais aujourd’hui la situation est plus qu’alarmante. Car à force d’exister, à force de s’approprier le dénouement des actions, à force de rentrer dans les schémas du footballeur, la simulation ne cesse de renforcer ses racines. Nous sommes maintenant à un point où elle s’est tellement gavée de son terreau l’antijeu qu’elle en vient à envahir le jeu lui-même et pourrir ses souches les plus anciennes. Et la réalité est qu’il faudrait des décennies pour éliminer la tumeur qu’est la simulation et aseptiser le football qui en meurt à petit feu.

La virilité en danger : le jeu sacrifié

Certes, la simulation d’une faute est formellement interdite lorsque cette dernière est absolument inexistante. Mais le problème est dans l’intention de simuler. Et il ne faut pas chercher bien loin l’élément qui cloche puisqu’il est dans la définition de la simulation. Celle-ci consiste à mettre en scène une chute disproportionnée par rapport au contact, dans l’unique but de persuader l’arbitre à siffler faute contre l’adversaire. Ainsi l’intention du simulateur n’est autre que d’obtenir un avantage en faisant accuser l’adversaire, à tort ou à raison. D’ailleurs, le joueur concerné cherche souvent plus qu’à simuler : il cherche à provoquer la faute du défenseur adverse. Et si l’on résume cela, on a la définition de l’antijeu : le protagoniste ne court pas vers son but en tirant profit de ses propres moyens mais en poussant son ennemi à perdre les siens ! Là est la preuve de l’ampleur que prend cette mode. Dans le duel physique que le défenseur propose à l’attaquant, ce dernier refuse de le mener dans la loyauté. Car plutôt que d’utiliser les armes appropriées à ce genre de combat, plutôt que de tenter de le remporter au mérite de ses qualités physiques et footballistiques, il utilise ses compétences théâtrales, qui n’ont rien de sportif, pour se garantir dans la plupart des cas la victoire.

Et toute cette histoire au détriment du jeu. Au détriment de cette action qui se serait poursuivie si l’attaquant ne s’était pas laissé tomber. Cette scène de sacrifice a lieu chaque jour, à chaque match, et souvent des dizaines de fois par match. Des dizaines de fois par match, on nous prive de quelques secondes de football, de quelques poussées de ballon d’un joueur qui peuvent s’avérer déterminantes si l’action se déroule proche de la surface adverse. Mais à la place, on a des coups de sifflets, des vérifications, des protestations. En réaction à l’aberration flagrante, un sentiment d’injustice profond ressenti par celui qui, en fin de compte, aurait fait la même chose dans l’autre sens. Cette injustice, en revanche, est doublement ressentie par les passionnés de football aux dépens du jeu. Elle est doublement ressentie par ceux qui accordent à ce sport une place dans leur cœur, et qui le voient insulté par des comportements lâches et puérils.

L’arbitrage soumis : le jeu enterré

Le diable n’épargne personne. Pire, certains s’allient à lui. En effet, à force de voir la simulation se développer dans les pratiques des footballeurs, l’arbitrage a décidé de s’y adapter et d’y poser des conditions. On aurait pourtant tendance à surveiller avec plus d’attention les exagérations du simulateur, mais l’arbitre, lui, accepte de se faire manipuler par ce dernier en répondant à ses revendications : il va d’abord s’interroger sur une éventuelle punition pour la victime de la supercherie avant de punir le simulateur. Ainsi, un attaquant frôlé par une intervention mal négociée de l’adversaire, même s’il est loin d’en être déséquilibré, peut obtenir un coup franc s’il simule ce déséquilibre. On trouverait certes normal que la faute flagrante soit sifflée en premier, même s’il y a eu un abus de l’autre côté. Mais le problème est que cet abus ne sera pas sanctionné si faute il y a. L’arbitre s’arrêtera au premier responsable qu’il trouve, et donnera crédit au jeu d’acteur de celui qu’il a désigné comme la victime. Et ce dernier remettra son masque, encore et encore, à chaque fois que l’occasion se représentera.

C’est là le deuxième coup de poignard pour le jeu. Non seulement saccadé par les simulations des joueurs, il est aussi saccadé par les coups de sifflets de l’arbitre. Celui-ci partage désormais la partition avec le comédien et refuse lui aussi le combat physique entre l’attaquant et le défenseur. Le football qui, comme chaque sport, demande un engagement physique considérable, récompense désormais celui qui prend le moins de risques dans les interventions, la faute aux arbitres. Un duel entre deux joueurs se termine maintenant plus souvent par un coup de sifflet que par une récupération ou une conservation du ballon. Et dans la moitié des cas, le sifflet n’aurait pas retenti si le joueur ne s’était pas jeté. Voici comment la simulation, avec l’aide des arbitres, a pris place dans le fil rouge de presque chaque action de football. Certes, elle fait gagner des ballons ou des secondes à l’équipe de l’acteur, mais elle fait perdre de la saveur au jeu que l’on aime tant, et une partie du charme avec lequel il nous a séduit.

A propos Augustin Cotreuil 4 Articles
"Il n'y a pas d'endroit dans le monde où l'homme est plus heureux que dans un stade de football." Albert Camus