Deux-cent-soixante-cinq millions de joueurs de football dans le monde. Et pourtant, tout est parti de quelques hommes, contraints en 1835 par le Highway Act de ne plus jouer au ballon sur les routes. Ces hommes se sont repliés dans les cours de leurs écoles, et ont donnés naissance au football. Le temps aidant, ce sport s’est diffusé dans le monde entier, sur la planète toute entière. Mais le succès de ce sport ne tient pas à grand chose. Quelques hommes, d’autres que les fondateurs : les marins. Si les marins n’étaient pas venus, il n’y aurait probablement pas de football partout dans le monde. De Calcutta à São Paulo, les marins auront contribué à mondialiser le football.

São Paulo, 1865

Les vagues de l’Océan Atlantique viennent balayer les plages du port de Santos, à quelques kilomètres à peine du centre de São Paulo. Les sacs de café s’accumulent sur les docks, et les marins les chargent sur les bateaux, à destination de l’Angleterre, de la France, et même de la Grèce. D’autres hommes, eux, débarquent de ces mêmes bateaux, les bras chargés de victuailles et de leurs affaires. Les affaires de toute une vie. Ils ont quitté leur Angleterre ou leur Ecosse natale, ont embarqués sur ces bateaux, et viennent ici, au Brésil, construire un chemin de fer et leur vie.

Soudain, tout le monde s’arrête. Tous les regards se tournent dans la même direction. Un bruit vient de retentir. Un bruit unique, que tous connaissent comme ils connaissent le nom de la femme qu’ils ont laissé au pays. C’est le bruit d’un coup de pied dans un ballon en cuir. Deux marins viennent de se faire une passe. Les quelques descendants d’esclave qui sont assis sur les caisses en bois les regardent, l’air étonné. Les mots fusent. O que você está fazendo? We play football. Avec leurs bonnets de marins sur la tête, ils échangent le ballon.

Pendant deux ans, les anglais, les irlandais, les écossais vont construire un chemin de fer, qui fera de Santos l’un des ports les plus importants d’Amérique du Sud, et de São Paulo la plus grande ville du Brésil. Mais à côté des sacs de café, les ballons s’accumulent. A chaque kilomètre de rails, c’est un nouveau terrain de jeu pour tous les travailleurs. Noirs et blancs tapent ensemble dans le ballon. Il faudra attendre trente ans, et Charles Miller, pour que le sport se codifie réellement au pays du football. Mais peu importe, la graine est semée. Le Brésil peut remercier ses marins.

Calcutta, 1872

Il fait chaud à Calcutta en ce mois de mars 1872. Les troupes britanniques stationnées en garnison s’ennuient, malgré l’épidémie de choléra qui pointe le bout de son nez dans la ville. Les navires accostent à quelques kilomètres de là, chargés de bière, de lettres venues tout droit d’Angleterre, et de ballons de football. En même temps que les colis, les marins débarquent et viennent se mêler aux soldats. Très vite, ils rejoignent leurs camarades de la Compagnie des Indes Occidentales, qui depuis 1792 pratiquent le cricket sous les couleurs du Calcutta Cricket Club Clippers. Et puis en quelques semaines, l’idée d’avoir une équipe de football émerge. Pourquoi ne pas profiter de la communauté britannique pour rappeler un petit bout d’Angleterre ? Quelques années plus tard, un des premiers clubs destinés à la pratique du football en Inde émerge, le Naval Volunteers Club. Avec, évidemment, que des anciens marins dans l’effectif.

La frénésie du football va peu à peu embraser le sous-continent indien. Mais le hasard fera qu’il accrochera moins bien que le cricket. La faute aux tenues nécessaires pour disputer un match de football : pieds nus, sur les terrains cabossés, cela ne fait pas le poids contre les chaussures des anglais. Et surtout, l’armée britannique va prendre des mesures raciales sur le football en Inde. Sans doute pour éviter les déroutes face aux formations locales ? Et puis en 1950, près de soixante-dix ans après l’officialisation du football en Inde, le coup de grâce va être porté. Cependant, avec un manque de finances et l’impossibilité de jouer pieds nus, l’Inde déclare forfait pour le mondial. Depuis, le pays ne s’est plus jamais qualifié. Les marins auront essayé et bien failli faire de l’Inde un continent de football. Mais ils auront échoué, face à des castes qui ne le voient pas d’un bon œil.

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« Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on le peut reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui ». (Jonathan Swift, 1667-1745)