Le Borussia Dortmund est connu pour son célèbre mur jaune, terreur de toutes les équipes européennes. Depuis 2013 et surtout depuis le départ de Jürgen Klopp, le club connait néanmoins énormément de turbulences dans ses résultats. Le principal concurrent du Bayern en Allemagne perd énormément de terrain dans la course au titre chaque saison. Pour essayer de bien comprendre ce qui se passe au sein du club du Borussia, nous sommes partis à la rencontre d’Empereur Jaune, un des plus grands fans du BVB en France.

D’abord, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?

Alors, si je supporte le Borussia Dortmund aujourd’hui c’est grâce à un joueur en particulier, que j’ai découvert quand j’avais 7 ans lors de l’Euro 2004 et qui a été mon tout premier contact avec le football. Ce joueur, c’est Tomáš Rosický. Il était accompagné dans cette équipe de République Tchèque du grand Pavel Nedvěd et d’un autre grand nom du BVB, un certain Jan Koller.

Sans raison particulière, je me suis pris de passion pour ce joueur et pour son club, le BVB, dont il était la « vedette technique » depuis 2001. Dans la Ruhr, on le surnommait « Der kleine Mozart » (le petit Mozart) pour sa virtuosité qui représentait comme un petit espoir au milieu d’une période très compliquée pour le BVB. Malheureusement, il n’a pas eu la carrière qu’il méritait, souvent blessé à Arsenal.

Le Borussia Dortmund est un club très apprécié en France, que peux-tu nous dire ou nous raconter sur ce club qui a une grande histoire ?

Il ne faut pas se tromper quand on parle de « grande histoire ». De nos jours, on est sûrement considérés comme un grand club européen grâce à nos récentes performances sur la scène nationale et européenne. Mais ça a rarement été le cas au cours de l’histoire. On peut dire qu’on a connu des périodes d’apogée : 1966, les années 1990 ou les années 2010 bien sûr. Des clubs comme le Benfica Lisbonne par exemple sont peut être considérés comme des plus petits clubs aujourd’hui alors que leur histoire est sans doute plus conséquente.

Mais, effectivement, on fait partie de ces clubs qui ont remporté la grande Ligue des Champions et qui sont régulièrement titrés en Allemagne. Mais je ne pense pas que ça soit ça qui fasse notre réputation en France notamment. Le Borussia Dortmund est un club spectaculaire de par ses fans, son stade, son identité, sa philosophie ou même ses couleurs par exemple. Et quand on a été mis sous les projecteurs entre 2010 et 2013, ce sont des milliers de personnes qui se sont pris de passion pour cette singularité.

Dortmund a évité la banqueroute en 2005, dorénavant le club est devenu un des clubs les plus riches du monde. Cela montre que le board du BVB travaille très bien ?

Oui c’est vrai. En fait, après notre période forte des années 1990 au cours de laquelle on remporte quatre titres nationaux, la Ligue des Champions 1997 et la Coupe du Monde des clubs. On s’est clairement vu trop grands.

Nos dirigeants de l’époque, Gerd Niebaum et Michael Meier, font peut-être parti des pires gestionnaires que le football ait connu. Ils avaient accumulé près de 100 millions d’euros de dettes en prenant des décisions catastrophiques alors que des difficultés financières existaient déjà depuis les années 1980. Seulement, les résultats sportifs n’ont pas suivi les dépenses engagées ce qui a plongé le club dans une difficulté énorme, à tel point que notre existence était menacée et notre exclusion de la Bundesliga envisagée par la DFL.

Quand ils sont partis, Reinhard Rauball est revenu au club pour la troisième fois en tant que Président accompagné cette fois de Hans-Joachim Watzke, un grand fan de longue date du club, au poste de Directeur Général. Il y a une légende qui dit que c’est grâce au prêt du FC Bayern München que nous sommes toujours en vie mais c’est en grande partie faux. Le Bayern nous a aidés en nous prêtant 2 millions d’euros pour payer le salaire de nos joueurs, que nous avons remboursé depuis avec des intérêts. Mais Rauball et Watzke ont redressé le Borussia Dortmund et ses 200 millions d’euros de dettes grâce à des choix stratégiques payants et ont même fait plus que ça en nous ramenant au sommet du football européen. Les vrais sauveurs du BVB, ce sont eux et il ne faut pas l’oublier même quand les résultats sportifs sont plus décevants.

Est-ce qu’ils sauront faire de même avec cette crise financière liée au Covid qui se prépare ? C’est une autre question même si la situation reste moins préoccupante.

L’époque Jürgen Klopp a été spectaculaire. Dortmund a réussi à détrôner le Bayern deux saisons de suites, ajoutées à cela les grosses performances en Europe comme les belles victoires contre le Real Madrid ou encore cette finale de Ligue des Champions. Raconte nous ton ressenti a cette époque-là ? 

Absolument spectaculaire oui, il y a beaucoup à dire sur cette ère Klopp, la « deuxième apogée du BVB » après celle des années 1990. Pour que le BVB performe, il faut la réunion de plusieurs éléments difficiles à trouver et sous Jürgen Klopp tout était réuni. Il y avait d’abord un public au sommet de son art avec un Westfalenstadion encore préservé des touristes. L’équipe était composée à la fois de vrais leaders, fans du club depuis leur plus jeune âge à l’image de Kevin Großkreutz, Nuri Sahin ou Marco Reus, et de joueurs très talentueux comme Mario Götze, Robert Lewandowski. Et pour lier tout ça, l’entraîneur parfait en la matière : le charismatique, expressif et galvaniseur Jürgen Klopp. Il savait utiliser le stade, faire monter la pression positive et le style de jeu qu’il préconisait ne pouvait marcher aussi efficacement que dans un tel contexte.

Ce n’est pas un hasard si Klopp s’est retrouvé ensuite à Liverpool et a réussi avec les Reds dans un club et un stade comparables. Depuis son départ, il nous manque toujours un de ces différents éléments.

Depuis 2013, Dortmund a beaucoup de mal à rivaliser avec le Bayern. Quel est le problème selon toi ?

Comme je viens de le dire, il manque toujours un ingrédient pour que le Borussia Dortmund soit au sommet. Ces éléments indispensables, on les a d’ailleurs perdu les uns après les autres.

D’abord les joueurs talentueux. Perdre Mario Götze, Robert Lewandowski, Mats Hummels ou İlkay Gündoğan, c’est forcément fatal. Même si c’est la rançon du succès puisqu’ils ont été remplacés par des joueurs moins uniques et moins « Borussia compatibles ». C’est à dire qui n’ont pas baigné dans la BVB-Kultur comme Götze par exemple.

Ensuite, il manque des joueurs leaders et d’identité. Ces joueurs n’étaient pas forcément les meilleurs balle au pied mais compensaient par un état d’esprit incroyable de combativité. Si on prend le cas de Neven Subotić par exemple, on sait que ça n’a jamais été un grand défenseur avec d’immenses qualités. Mais s’il a été aussi fort dans cette période, c’est justement grâce à ce contexte « Kloppesque » qui l’a poussé à devenir un monstre physique sur le terrain, à ne jamais baisser la tête, à croire à l’exploit etc. Tout ça se passe dans la tête, dès que ce contexte transcendant a pris fin, des joueurs comme Subotić, Großkreutz ou Błaszczykowski ont eu plus de mal à maintenir leur niveau et le club a fait le triste choix de s’en séparer.

Et puis les fans du Westfalenstadion. Ils ont été quelque peu rejoints par des supporters moins impliqués, notamment en coupes d’Europe, voire par des simples touristes venus voir de leurs propres yeux ce fameux « Mur Jaune » dont les journalistes ont tant parlé en 2013. L’ambiance en a forcément pris un coup. Certains chants historiques sont moins repris ou même oubliés.

Et enfin la pierre angulaire de tout ça : Jürgen Klopp, celui qui faisait tourner la machine. Son départ a été dramatique en terme d’état d’esprit. Même s’il a été remplacé par un entraîneur, Thomas Tuchel, qui a su conserver pendant deux saisons ce caractère de gagne qui faisait la force de cette équipe, ça n’a plus été le cas après. Peter Bosz et Lucien Favre sont bien sûr de bons tacticiens, mais ne sont pas des meneurs d’hommes avec la présence de Klopp sur un banc comme le BVB en a besoin.

Pour résumer, ce qui nous empêche de rivaliser avec la machine du Bayern München, c’est une forme d’état d’esprit que le BVB a perdu.

Pourtant, l’effectif de Dortmund a toujours été de qualité (Aubameyang, Dembélé, Reus, Sancho, Haaland, Hummels…) mais l’équipe a du mal a remporté des titres

C’est vrai aussi mais attention encore, on sait que ces joueurs talentueux que sont Erling Haaland, Jadon Sancho ou Ousmane Dembélé ne sont pas venus au BVB avec l’idée de faire rayonner le club. Mais plutôt avec l’idée de se révéler au yeux des plus grands. Ce ne sont pas des joueurs qui ont été formés par le club, pas des joueurs qui ont grandi dans la rivalité avec Schalke par exemple. On ne peut pas le leur reprocher bien sûr, mais ils n’ont pas les cartes en main pour avoir l’envie de travailler pour un projet à long terme avec Dortmund.

Avec ce style de joueurs, on peut seulement espérer un « one shot » sur une seule saison, comme ce qu’on a réussi à faire en 2017 par exemple avec ce titre en Coupe d’Allemagne pour lequel Ousmane Dembélé aura eu une importance folle.

Mais rivaliser avec le Bayern suppose une idée de long terme et pour ça, on n’a pas les armes. Et ce n’est certainement pas parce qu’on va signer Haaland ou Sancho que le Borussia Dortmund se hissera à la hauteur du Rekordmeister qui, lui, est justement un club de destination finale de ce type de cracks.

Et pour passer ce cap de signer des bons joueurs déjà confirmés, entre 24 et 28 ans pour un projet de long terme, il faudra également accepter de passer le cap des dépenses financières. Je pense par exemple à Richarlison qui avait déclaré être un fan du BVB et vouloir y jouer un jour. C’est le genre de joueur qu’on aurait dû aller chercher dès ses performances à Watford alors qu’il était abordable. Klostermann, Adeyemi, c’est pareil, il ne fallait pas hésiter. Mais ça, ça dépend de la politique des dirigeants et de leurs choix stratégiques.

Parlons de la saison actuelle. Lucien Favre a été démis de ses fonctions dernièrement, mais les résultats sont toujours moyens voir décevant. Le changement de coach était-il nécessaire ?

Le changement de coach était nécessaire oui, même s’il n’a pas eu de conséquences. Lucien Favre aussi bon tacticien soit-il n’était définitivement pas l’entraîneur dont le BVB avait besoin. Outre la question de son départ nécessaire, c’est vrai qu’on aurait pu terminer la saison avec lui au regard de la situation.

Mais le problème ne vient pas uniquement de l’entraîneur. L’effectif est également à mon avis plus limité que l’on ne le croit et pas forcément bien construit voire assez déséquilibré.

Cependant, pour moi, le principal soucis de cette saison, c’est le Covid. Pourquoi le Covid ? Parce qu’il nous empêche de bénéficier de notre plus grosse arme à savoir le Westfalenstadion. Jamais on a été aussi fébrile à domicile et jamais la forteresse qu’a été notre stade sous Thomas Tuchel par exemple n’a été aussi prenable. C’est un désastre et l’absence de nos fans, de nos Ultras n’y est pas étrangère.

Selon les dernières rumeurs ça serait Marco Rose qui sera à la barre technique du BVB la saison prochaine ?

C’est ce qui se dit oui et ça a l’air bien parti, lui-même ne le dément par, le président de Gladbach y fait implicitement référence. Il y aurait un accord apparemment pour la saison prochaine. Je crois au succès de cet entraîneur dans le mesure où il a un certain charisme sur le banc, une dégaine si vous préférez. A voir ce qu’il réussira à faire de cet effectif qui va perdre probablement en qualité.

(ndlr : l’arrivée de Marco Rose à Gladbach est désormais officielle)

Le Borussia ne devrait-il pas passer un cap et aller chercher un coach de classe mondiale comme par exemple un Ancelotti qui mérite mieux qu’Everton ou encore un Villas-Boas, Allegri… ?

De la même façon que pour les joueurs, les grands entraîneurs supposent des gros salaires, des grands statuts. Or, ce n’est pas du tout le fonctionnement et la philosophie du BVB. Un grand entraîneur ne serait gage d’aucune réussite à Dortmund, où on aime gagner d’une certaine manière.

Non, ma conviction, partagée avec un grand nombre d’entre nous, c’est qu’il y avait une seule bonne réponse à la question de l’entraîneur. Cette réponse, c’était Julian Nagelsmann. Il était l’entraîneur qui cochait TOUTES les cases du coach parfait pour le BVB : charismatique, atypique, très précis tactiquement. Malheureusement, la direction a raté le coche en lui préférant Lucien Favre. Et Julian Nagelsmann lui est en train aujourd’hui de faire du Rasenballsport Leipzig le deuxième plus gros club d’Allemagne.

Deux joueurs du BVB (Sancho, Haaland) sont les plus convoités en Europe. On imagine mal Dortmund lâcher les deux joueurs, lequel est le plus proche d’un départ selon toi ?

Le plus proche d’un départ c’est Sancho puisque c’est même une quasi-certitude. Mais lâcher les deux n’est pas non plus impossible vu le contexte et les difficultés financières auxquelles le BVB est confronté. Haaland dispose d’une clause de 75M€ activable en 2022 je crois, donc si on veut le vendre plus cher, c’est cet été. Le Real Madrid le veut apparemment. On verra bien.

Marco Reus est un enfant du club et il est le capitaine actuel, tu en penses quoi ?

C’est une légende du club qu’importe la carrière ou son palmarès, il a tant donné pour le club de sa ville et de sa vie. Qui d’autre que lui serait plus légitime à porter le brassard ? Personne.

Avant dernière question, ton avis sur cette saison compliquée ?

La réponse est dans la question : saison compliquée. Sauver les meubles, c’est tout ce qu’on peut espérer et ça signifierait accrocher une des quatre premières places qualificatives pour la Ligue des Champions mais c’est mal parti. Après, je rêve de la Coupe d’Allemagne, avec l’élimination du Bayern et de Leverkusen, c’est la saison ou jamais. Mais pour ça il faudra passer sur Gladbach au prochain tour et ça, c’est loin d’être fait.

Je n’évoque même pas Séville qui va nous donner une leçon de football dans quelques jours en Ligue des Champions.

Enfin pour conclure, un mot sur votre plus grand rival Schalke 04 qui est proche de la Bundesliga.2 ?

Un petit détour par la deuxième division ne leur fera pas de mal. Ne plus avoir de Revierderby à jouer ne me fait pas peur, je sais que le destin nous mettra de nouveau sur le même chemin, que ça soit en coupe ou quand on se retrouvera de nouveau ensemble en championnat. L’histoire du foot est faite de descentes et de montées et de toute façon comme on dit : „Die Nummer 1 im Pott sind wir !“.

Je te remercie pour cet agréable échange

Je t’en prie, avec plaisir.

 

N’hésitez pas a suivre Empereur Jaune sur Twitter pour plus d’informations et d’anecdotes sur le Borussia Dortmund.

A propos Tarik Boulouh 16 Articles
Chroniqueur Sportif chez Radio Campus Montpellier. Chroniqueur dans l’émission Sport'N'Chill (RCM). Rédacteur Demivolee.com