Le rêve de tout enfant un tant soit peu amoureux du football est sans doute de joueur devant des dizaines de milliers de spectateurs. Et pourquoi pas de marquer des buts décisifs, à la pelle. De connaître la gloire, les hourras, les lauriers. Pour cela, il faut bien sûr devenir professionnel, mais ce n’est pas le plus important. Le plus important, c’est d’être devant, d’être indispensable à l’équipe. Et cela, au Brésil plus qu’ailleurs. Au Brésil, ce pays fabuleux où le gardien est à la fois adulé en tant que joueur de football mais en même temps introuvable chez les amateurs, à tel point que certains gardiens se louent à l’heure pour disputer des matchs de quartier. Un homme, pourtant, a renversé un petit peu la tendance. Cet homme, c’est Rogério Ceni, l’emblématique gardien du São Paulo FC.

Sans prétention

Ademir a vingt-quatre ans. Il est né à la fin du mois de mai 1996, quelques jours à peine après la mort du grand Ademir Marques de Menezes. Son père est un supporter inconditionnel de Vasco da Gama, comme son grand-père avant lui. C’est d’ailleurs ce dernier qui a proposé le prénom d’Ademir pour son petit-fils, en hommage à l’un des héros de sa jeunesse, l’un des plus grands attaquants du Brésil d’après-guerre. Sa mère, originaire de São Bernardo do Campo, une ville périphérique entre São Paulo et Santos, a facilement cédé.

Mais au fond d’elle, elle sait qu’elle ne laissera jamais son fils devenir supporter du Gigante da Colina. Quoi qu’il lui en coûte, il faudra qu’Ademir devienne supporter du São Paulo FC. Qu’il porte haut et fort les couleurs du Tricolor do MorumbiPeu importe si pour cela, il faudra s’opposer à son mari et à la moitié de sa famille. Au Brésil, le football est une véritable affaire d’État.

Mais elle a l’avantage du terrain, au moins pendant les vingt premières années de la vie de son fils, son fils unique. Elle peut, presque toutes les semaines, emmener son fils au stade supporter ce qui deviendra son équipe de cœur. Eu te amo porque todo o universo conspirou para que eu chegasse até você (*), disait Paulo Coelho. Mais pensait-il que son mot deviendrait réalité ? Les premiers souvenirs au stade d’Ademir remontent au tournant des années 2000. Et il voit, dans son équipe, un joueur absolument formidable, un joueur comme on n’en fait plus.

Le gardien

Ce n’est pas Luis Fabiano, son idole, qui marque pourtant buts sur buts. Non, c’est le gardien, ce grand bonhomme d’un mètre quatre-vingt-huit, si étrange, si différent dans sa tenue. Lui qui porte des gants alors que la chaleur est immense sur le Morumbi. Lui qui joue en noir lorsque tous ses coéquipiers sont en blanc. Ce gardien, c’est Rogério Ceni. En 2000, le monde commence à découvrir l’enfant de Pato Branco comme un formidable tireurs de coups de pieds arrêtés. Sur l’année civile, il marque huit buts, dont sept coups-francs directs. Mais il faudra attendre quelques années avant le voir atteindre son apogée. Cela tombe bien, Ademir a tout le temps d’attendre. Il rentre à l’école, et découvre petit à petit la vie, mais continue religieusement dès qu’il le peut d’accompagner sa mère au stade.

Nous sommes en 2005, Ademir va bientôt fêter ses neuf ans. Il commence à comprendre le monde qui l’entoure. Et il commence aussi à comprendre que son équipe possède un des meilleurs joueurs de la planète, un joueur tellement atypique qu’il est complètement unique. Avec une régularité d’enfer, Rogério Ceni marque but sur but. Un tous les trois matchs. Des statistiques absolument faramineuses, Rogério Ceni termine la saison avec vingt-et-un buts au compteur. Digne d’un attaquant. Mais ce n’est pas tout, parce que Ceni impressionne également dans la cage, en multipliant les parades, lui le Champion du Monde 2002 avec le Brésil.

Pris de passion pour le gardien de son club de cœur, Ademir n’hésite pas, dans la cour de l’école ou sur le terrain du parc municipal, à aller dans la cage. Il s’exerce à frapper les six-mètres comme des coups-francs, à dribbler les attaquants qui viennent vers lui et à arrêter les frappes assénées par ses adversaires.

Révolution

Les performances de Rogério Ceni ont un retentissement énorme sur les jeunes garçons qui se lancent dans le football au milieu des années 2000. Le gardien ne devient plus seulement celui qui encaisse des buts et que l’on montre du doigt, mais aussi un héros offensif. Grâce à son énorme régularité, et à sa fidélité, Rogério Ceni devient une véritable idole dans tout le Brésil. Les années passent, Ademir grandit. Les amourettes défilent au lycée, Ademir arrête le football et se concentre sur les études. Il entreprendra avec succès une école d’ingénieur, dans le Minas Gerais. Pendant ce temps, Rogério Ceni continue de marquer des buts et de multiplier victoires et arrêts.

Il accumule aussi les records. Celui de buts marqués par un gardien, bien sûr, avec cent-trente-deux au compteur, dont une bonne moitié de coups-francs. Mais aussi, grâce son incroyable longévité, le record de capitanat de l’histoire du football. Il porte près de mille fois le brassard au court de sa longue carrière. En effet, Rogério Ceni dépasse allègrement la barre des mille-deux-cent matchs joués dans sa carrière. Ce qui fait bien évidemment de lui le joueur le plus capé de l’histoire du football. Il devance ainsi des grands noms, comme David Seaman, Xavi Hernandez, Iker Casillas ou Gianluigi Buffon. Et même si son taux de victoires en club n’est pas si impressionnant que cela, grâce à son expérience sous les couleurs du SPFC, Rogério Ceni devient à l’automne 2014 le joueur comptant le plus de victoire avec un même club.

Avec un palmarès long comme le bras, Rogério Ceni tire sa révérence en 2015, après vingt-cinq ans de bons et loyaux service, et un palmarès long comme le bras. Une vingtaine de titres avec São Paulo, continentaux et nationaux, une Coupe du Monde et une Coupe des Confédérations avec le Brésil. Pas trop mal. En hommage à son emblématique « 01 », sorte de « 10 » à l’envers, le club pauliste annonce à la retraite de son portier de retirer définitivement le numéro 1. Rogério Ceni reste ainsi à jamais le premier.

(*) « Je t’aime parce que tous l’univers a conspiré pour me faire arriver jusqu’à toi. »
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« Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on le peut reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui ». (Jonathan Swift, 1667-1745)