« Gagner à en mourir », quel nom ! Il est souvent de bon ton de dire que le football est une petite mort, que chaque action nous rappelle la fugacité de notre vie. Mais dans Gagner à en mourir, Pierre-Louis Basse traite d’un sujet autrement plus important. Autrement plus funeste, aussi. Dans un contexte de seconde guerre mondiale, il retrace l’histoire du FC Start, l’équipe composée d’anciens du Dynamo Kiev, venue défier les équipes des garnisons hongroises et allemandes en Ukraine.

Une histoire tragique, évidemment, comme le sous-titre du livre laisse à penser : « Ukraine, 1942. S’ils remportent ce match, ils risquent leur vie ». Un sous-titre alléchant, en dessous d’une photo en noir et blanc où l’on voit les joueurs du FC Start avec des sourires un peu crispés. L’une des rares photographies de ces joueurs qui marqueront l’histoire.

La couverture du livre n’est pas sans rappeler celle de Dynamo – Defending the honour of Kiev, d’Andy Dougan. Même titre en grosses lettres rouges, même photo des joueurs en noir et blanc. Mais Gagner à en mourir, fort heureusement, n’est pas un mauvais remake à la française du génial livre d’Andy Dougan. Quand l’auteur Écossais raconte une histoire comme l’on conterait une histoire d’amour (« Out on the balcony, Dubosvky stood and looked down on the street below. He could hear Valentina laughing with her friends and from the tone of her laugh it had doubtless been at some comment about the night ahead« ), l’œuvre du journaliste français est beaucoup plus personnelle. Et ce parti-pris influence la manière dont les événements prennent vie.

Le temps de la vie

Trois chapitres viennent rythmer les cent-onze pages de ce petit livre. Trois chapitres, plus une admirable préface d’Ollivier Pourriol, le philosophe lyonnais. Le premier, « Le match invisible », vient raconter l’itinéraire de Pierre-Louis Basse avec le football, et son amour de l’Europe « de l’est ». Le deuxième, « 9 août 1942 : un match pour l’histoire », est avant tout consacré au contexte autour de ce match, aux évènements footballistiques en lien. Et le troisième, qui porte le nom du livre, « Gagner à en mourir », le plus court de tous, traite du match de la mort en tant que tel.

Gagner à en mourir n’est pas un livre de football. Ce n’est pas non plus un livre d’histoire. C’est avant tout un parcours personnel et une formidable histoire qui a pour contexte le football. Le match pourrait être de hockey sur gazon ou de tout autre sport, cela n’affecterait finalement qu’à la marge le livre. Non, Gagner à en mourir est un roman avant d’être un livre de sport. Un roman qui parle de sport, certes. Mais qui est avant tout de grande qualité pour sa capacité à faire vibrer les mots.

Et dans ses yeux d’aujourd’hui, Oleg, je l’observe qui pousse cette porte brinquebalante du vestiaire, rue Kerrossina. Tandis que plusieurs milliers de supporters rejoignent le Zénith. Et j’apperçois dans le brouillard des années le grand Kolya Trusevich. Je devine son corps mince et agile, replié en silence sur l’un des deux bancs dressés à la hâte.

Et c’est grâce à cette vibration que le livre a son intérêt. Du match, on en parle pas vraiment. Mais le livre se lit extrêmement facilement. Une heure ou deux suffisent à dévorer les lignes, à avaler les mots comme Olexi Klimenko avalait les kilomètres. C’est dans ce climat que toute l’histoire du fameux match de la mort prend place. Le livre est bien écrit, très facile à lire et pourtant très beau.

L’heure de la mort

Mais quelques défauts surgissent. Tout d’abord, une espèce de frustration. On ne parle quand même quasiment pas du match en tant que tel dans le livre. Le premier match ayant opposé le Flakelf au FC Start n’est ainsi pas même mentionné alors qu’il est pourtant très important pour comprendre l’histoire. Et de même que chez Andy Dougan, un manque de sources est relativement criant. Fort heureusement, on ne tombe dans le grotesque comme dans The Longest Yard ou Escape to Victory, les deux films américains inspirés de cette histoire. Mais néanmoins, Pierre-Louis Basse se laisse un peu aller à l’excès inverse : rejoindre la légende communiste, créée par Brejnev et les autres, autour du fameux match de la mort.

En définitive, le livre est bon, voire même très bon. Mais il manque d’un petit quelque chose pour parvenir au panthéon des meilleurs livres de football. Tout simplement, peut-être, parce qu’il n’est pas un livre de football.

Mais ce livre nous amène à réfléchir sur nous-même. Sur notre place dans le temps. Sur nos raisons d’aimer le football. Est-ce pour le sport que nous aimons cela ? Ou bien pour ce que les gens pensent de nous. A défaut de parler de football, Pierre-Louis Basse nous permet donc d’amorcer une réflexion presque philosophique sur le sujet. Ce n’est pas si étonnant, puisque Basse est journaliste puis écrivain, et non pas sportif puis écrivain. Pour lui, c’est la réflexion qui prévaut. Ce n’est pas l’événement en tant que tel qui est important, c’est la manière dont il y a à prendre et à gagner de celui-ci.

Une première version de cette critique est parue chez TLMSF en Janvier 2019. La version publiée aujourd’hui est une version révisée et actualisée.
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