Chacun est au courant de près ou de loin de la situation financière délicate de l’OM : l’ambiance tendue entre André Villas-Boas et ses dirigeants à chaque fois qu’il est question d’argent en témoigne. Pourtant, avec un investissement minimal cet été, l’OM réalise une saison au-delà de toute espérance. Cette saison est-elle le rebond tant attendu dans le projet McCourt ? Ou bien est-elle à savourer, comme la dernière cigarette du condamné ?

Disclaimer : papier rédigé avant la rencontre du 6 mars face à Amiens. Certains chiffres peuvent varier légèrement n’altérant pas le propos de l’article.

L’OM, une équipe chanceuse

Les Expected Points, la stat qui fait parler

Reprise de nombreuses fois sur les réseaux sociaux, la statistique d’Expected Points de l’OM semble dénoter d’un facteur chance absurde en faveur du club olympien cette saison. En effet, dans les cinq grands championnats européens, seuls deux clubs affichent un plus grand écart entre leurs points réels et leurs xPTS : Liverpool (21.14) et la Lazio (14.49). Marseille arrive donc en 3e position avec 13.95 points de plus que ses xPTS.

Si l’on s’intéresse à cette statistique de plus près, on observe qu’elle est en réalité construite sur une simulation de partage des points après chaque match en fonction des Expected Goals de la rencontre. Cela signifie d’une part que la stat n’est pas véritablement représentative de la physionomie des rencontres : si une équipe marque à la suite d’une ou deux occasions moindres, elle passera probablement le reste du match à défendre son avance et donc à concéder des xG à l’adversaire. D’autre part, un grand écart n’est pas nécessairement signe de chance pure puisque si vous êtes régulièrement (un peu) meilleurs que vos adversaires, vous pouvez prétendre à prendre régulièrement les trois points.

Une équipe en réussite croissante

Si l’on creuse un peu plus, on se rend compte que l’OM peut être qualifié d’équipe chanceuse mais avec un ordre de grandeur bien plus proche de la norme. Ainsi, en Ligue 1 cette saison, l’OM affiche une certaine réussite offensive et défensive avec 39 buts pour 35.39xG et 27 buts concédés pour 30.12xGA. Cela fait de l’OM la 6e équipe la plus en réussite offensivement et la 4e défensivement. Si l’on combine les deux, seuls Nice, Brest et Bordeaux ont une différence de buts qui démontre plus de réussite que celle de l’OM.

Là où cela devient intéressant, c’est si on s’attarde sur la distribution de cette réussite au fur et à mesure de la saison. Le graphique en dessous montre qu’à part sur les premières journées de L1, la moyenne de différence de buts par match est systématiquement au-dessus de la moyenne de différence de xG. De plus, depuis huit journées, cet écart s’accroît avec une différence de buts qui grandit pendant que la moyenne de différence de xG s’effondre. Néanmoins, suite à la déculottée reçue contre le PSG, les Marseillais ont su faire remonter leurs deux moyennes au-dessus de 0, signe que si l’équipe peut être considérée comme un peu chanceuse, il y a malgré tout une patte AVB derrière tout ça.

La patte Villas-Boas ou « le foot qui gagne »

Le foot, c’est jouer aux échecs avec des dés

Villas-Boas arrive à la tête de l’OM dont l’effectif vieillissant sort d’une saison médiocre qui aura coûté son poste à Rudi Garcia. À cet effectif, la direction marseillaise soustrait notamment Lucas Ocampos, Luis Gustavo, Adil Rami, Mario Balotelli et Clinton N’jie. En guise de remplacements, l’OM promeut quelques jeunes joueurs issus de sa formation et fait l’acquisition d’un joueur expérimenté par ligne : Alvaro en défense, Rongier au milieu et Benedetto en pointe. Dès lors, la mission d’AVB semble suicidaire : faire mieux que Garcia avec un effectif qui a perdu 30M€ de valeur marchande quand le Français avait profité d’une augmentation de 110M€ pour sa dernière saison. Le coup est d’autant plus dur qu’un joueur clé en la personne de Thauvin se blesse pour les trois quarts de la saison.

Heureusement pour les Olympiens, la méthode Villas-Boas ne se fonde pas sur un jeu de position léché qui requiert des joueurs aux capacités techniques exceptionnelles. À la place, le coach portugais se contentera d’un bloc solide, d’une équipe agressive et de provoquer la réussite. Autrement dit, la plupart des matches de l’OM présenteront rarement de grosses occasions de part et d’autre, mais Marseille fera en sorte de tenter plus souvent sa chance et de pousser son adversaire à la faute pour grappiller quelques opportunités supplémentaires en contre-attaque. Succinctement : être un peu meilleur, le plus souvent possible.

Un bloc en béton armé

Si l’on observe les chiffres à présent, on peut considérer que la sauce a pris pour AVB à l’OM. Reflets de l’agressivité marseillaise, les stats de tacles par match et de PPDA sont exemplaires pour les Olympiens. Avec 20.2 tacles par match, l’OM est 1er sur la métrique. De plus, les 8.58 Passes Per Defensive Action classent le pressing olympien 2e plus intense de Ligue 1 derrière le PSG. Cela permet à l’OM de marquer plus souvent que la moyenne en contre-attaque mais également de rester dominateur avec 13.4 tirs par match, ce qui classe le club 3e derrière le PSG et Monaco.

Défensivement, à présent, et malgré un pressing intense, l’OM laisse peu d’opportunités à l’adversaire. Avec seulement, 9.9 tirs concédés par match, le club se classe 2e ex-æquo avec le PSG et Lille. Seul Angers, 1er au classement, fait mieux. De plus, les xG/tir concédé sont raisonnablement contenus à 0.11 de moyenne. Et pour chaque tir, les adversaires de l’OM doivent en moyenne tenter 41.29 passes. Relativement aux autres équipes, ce chiffre dénote d’une bonne gestion défensive de l’OM qui parvient à faire travailler ses adversaires jusqu’à deux fois plus que les plus mauvais élèves de Ligue 1 en la matière.

Ainsi, même en pressant haut, les Marseillais arrivent à protéger leur cage en concédant un nombre minimal de tirs, d’une qualité moyenne et au fruit de nombreuses passes qui exposent donc leurs adversaires aux erreurs et aux contres. Pour finir, le chiffre le plus éloquent est certainement celui des Deep Completions subies (= passes subies dans les vingt derniers mètres). En effet, avec seulement 82 passes, les Marseillais ont la surface de réparation la plus imperméable de Ligue 1. Et ce d’assez loin, puisque Strasbourg et le PSG (2e et 3e) pointent à 102 et 103 passes. Il n’est donc pas étonnant de voir l’OM dans les 5 meilleures défenses de Ligue 1 malgré un xG Contre qui place le club 9e.

Dans ces circonstances, un joueur brille tout particulièrement : Valentin Rongier. Avec 3.86 tacles par 90mn, l’ancien Nantais se classe dans les 3 premiers de Ligue 1 au sein d’une catégorie où règne en maître Eduardo Camavinga. Son acolyte au milieu, Morgan Sanson, propose 2.2 tacles par match mais également 2.1 fautes (1.4 pour Rongier). Son agressivité est comparable mais son aptitude moins nette sur l’exercice. Offensivement, les deux milieux transforment leur agressivité en occasions avec une participation au-dessus de la moyenne à la dernière passe et à la frappe. Sanson se montre ici plus à son aise lorsqu’il s’agit de marquer, tandis que Rongier se retrouve face à un axe de progression non-négligeable, surtout au vu du nombre de tirs tentés.

Marquer des buts, peu importe la manière

Si le pressing de l’OM et sa bonne organisation défensive lui permet de rester dominateur et de concéder un nombre minimal de buts, son animation offensive peut sembler par moment un peu raide. À ce titre, les Marseillais parviennent assez régulièrement à inquiéter leurs adversaires dans leur surface mais, avec 139 passes réussies dans les 20 mètres, se classent 5e derrière Paris (328), Monaco (212), Lyon (148) et Brest (147).

D’où l’importance de provoquer et d’avoir de la réussite. Ainsi, les Olympiens ne créent pas de meilleurs tirs qu’ils n’en subissent. Avec 0.10xG/tir, l’enjeu pour AVB est plutôt de se procurer plus de situations que l’adversaire en espérant, par loi des grands nombres, en convertir plus souvent aussi. À ce jeu-là, Dario Benedetto excelle avec son profil de renard des surfaces. Pointant à 11 buts pour 9.77 xG, il permet à l’OM de capitaliser efficacement sur ses actions abouties. Avec 2.63 tirs tentés par 90 minutes, il montre également qu’il est prêt à prendre ses responsabilités, ce qui convient bien à la philosophie de son entraîneur. Sa contribution s’arrête en revanche là.

Un autre joueur sort du lot cette saison en termes de finition : Nemanja Radonjic. Celui-ci, avec 3.57 xG, parvient à inscrire 5 buts en Ligue 1. Pas décisif la saison passée, il semble s’être découvert une nouvelle zone de tir côté gauche qui lui amène la réussite. Les points verts indiquent les buts, les rouges les tirs non-cadrés, les bleus les arrêts, les violets les tirs bloqués par la défense et les jaunes les poteaux. Verdict à confirmer cependant au vu de l’échantillon encore restreint.

Finalement, l’OM de Villas-Boas, comme toute équipe prête à gratter la moindre décimale de tir en plus, excelle sur coups de pieds arrêtés. Bien aidés par l’artificier Dimitri Payet qui réalise 45 de ses 87 passes clés sur CPA, les Marseillais parviennent à générer 0.28 xG par match sur coups de pied arrêtés indirects et corners, contre 0.19 subi. En guise de comparaison, l’OL ne se crée que 0.19xG par match sur cet exercice. Un différentiel non-négligeable qui a par ailleurs permis aux Marseillais, une nouvelle fois, de faire pencher la balance en leur faveur en marquant 4 CPA de plus que Lille, 2 de plus que Rennes, 1 de plus que Monaco et 6 de plus que l’OL.

Quel avenir pour l’OM ?

Au vu des chiffres évoqués, on constate que le style de jeu d’AVB a bien pris à l’OM et que malgré des limites offensives claires, le pari du coach portugais permet pour l’instant aux Marseillais de tenir solidement leur 2e place. À supposer que rien ne vienne troubler l’entente entre le manager et son équipe, les bases du succès marseillais cette saison devraient perdurer jusqu’à la 38e journée afin de permettre à l’OM de ne pas être rattrapé. Ci-dessous, le graphique de PPDA montre que les Olympiens parviennent à conserver une intensité de pressing régulière depuis un certain temps, même si certains concurrents semblent (enfin) passer la seconde.

On peut malgré tout ressentir une forme d’inquiétude, d’abord en observant la décroissance notable de la moyenne de différence d’xG. Il ne faudrait pas que les Olympiens tombent trop près de 0 sans quoi leur plan de jeu fondé sur le fait de provoquer la réussite pourrait tourner à s’en remettre purement et simplement à la chance. Jusque-là, difficile de considérer que l’OM ne mérite pas sa 2e place. Si Villas-Boas doit ses résultats à une part de chance, les chiffres montrent que les Marseillais ont tout fait pour les orienter dans le bon sens.

La vraie inquiétude à présent vient probablement du projet en lui-même. Villas-Boas n’est pas certain de rester et, comme le montre cette infographie réalisée par Statsbomb à la mi-janvier, l’effectif marseillais est très largement dépendant de cadres dont les meilleures années sont passées. Ainsi, stratégiquement les marseillais sont dépendants de l’argent que pourrait rapporter la qualification en Ligue des Champions, mais également de la manière dont ils géreront les contrats de leurs quelques belles valeurs marchandes. Par ailleurs, une belle recrue comme Rongier qui correspond parfaitement au jeu de Villas-Boas pourrait décevoir dans un autre style de jeu mais également manquer à l’OM la saison prochaine si le club venait à le vendre.

Ainsi, l’OM est dans une situation qui l’oblige à optimiser son effectif sportivement tandis que son coach menace de partir. Si on peut imaginer qu’après une 2e place, AVB décidera de rester, il ne faut pas oublier que le coach portugais est resté en moyenne 1.13 an en poste par club. En effet, seuls ses passages à Tottenham (1 saison et demie) et au Zénith (2 saisons) ont dépassé le stade d’une saison sur le banc.

On peut donc s’inquiéter, en plus d’un éventuel départ, d’une potentielle deuxième saison très délicate, où le tacticien portugais pourrait se retrouver une nouvelle fois face à ses limites en termes de management et de gestion de groupe. La saison actuelle a donc toutes les chances d’être le baroud d’honneur d’un projet qui s’est trouvé être, dès le premier jour, un quitte ou double particulièrement étonnant à base de joueurs vieux, chers et donc complètement à l’inverse de la dynamique du football moderne qui favorise les jeunes joueurs peu onéreux permettant de stabiliser la masse salariale et de ne pas voir ses actifs se détériorer.

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Les hommes mentent mais pas les chiffres.