Si le football a pu être (ou être présenté comme) vecteur de fraternité, tombeur de barrières sociales et faiseur de joie, le Honduras et le Salvador ont une toute autre histoire à nous raconter.

Plus si « beautiful game »

Ah, le football. Arrigo Sacchi, en plus de le réinventer, résumait très bien son statut. En étant « la plus importante des choses sans importance », le beautiful game est toujours plus ou moins pris à cœur par ses sympathisants, souvent plus que ce que la raison intimerait. Ainsi, il n’est pas rare de voir éclater des bagarres d’envergures et enjeux variés entre les acteurs et parfois même sur le rectangle vert.

Mais ce qu’a déclenché un match de football de 1969 est d’un tout autre acabit. Cette année-là, un barrage qualificatif pour la Coupe du monde 1970 opposant le Honduras au Salvador a littéralement déclenché une guerre entre les deux pays protagonistes. Ce conflit armé d’environ un mois (les batailles ne prirent que quelques jours) entre les deux pays voisins a causé la mort d’entre 2 000 et 6 000 personnes et l’exode de centaines de milliers de Salvadoriens. Tout ça à cause d’un match de football ?

Catalyseur

Soyons d’abord plus justes. Le verbe « déclencher » est à prendre au sens strict. Avant la rencontre, il n’y avait pas de guerre ; après, il y en a eu une. Mais, malgré l’un de ses noms, la Guerre du Football ne trouve pas sa cause dans la confrontation en elle-même. Le Honduras n’a pas attaqué militairement le Salvador car il était furieux de sa défaite. Le football est ici le catalyseur de cette Guerre de Cent Heures, qui a en fait évidemment des causes plus profondes.

En effet, les tensions entre les deux pays étaient déjà bien vives avant cette confrontation footballistique. Dirigé par une oligarchie, le Salvador avait aussi le défaut de très grandes disparités dans la répartition des terres cultivables, poussant les Salvadoriens à l’exode. Pendant près de vingt ans précédant la guerre, entre 100 et 200 000 migrants avaient quitté le surpeuplé Salvador vers le plus grand, moins peuplé et mieux rémunérateur Honduras, et ce, illégalement.

De l’autre côté de la frontière, un sentiment nationaliste n’hésitait pas à instrumentaliser cette immigration clandestine à des fins idéologiques. À un historique différend territorial s’ajoutaient donc entre les deux voisins des tensions à propos de migration. Mais le point de non-retour a été franchi en 1969 lors des barrages de qualification à la Coupe du monde opposant les équipes des deux pays. Le football s’est vu en effet, une fois n’est pas coutume, utilisé avec une efficacité remarquable comme outil de propagande.

Feu aux poudres

Ce 8 juin 1969, donc, le Honduras reçoit le Salvador à Tegucigalpa pour la première manche du barrage, qui se joue alors au meilleur des trois matchs. Les supporters locaux s’étant assurés que les joueurs salvadoriens passeraient une nuit agité en faisant du bruit toute la nuit devant leur hôtel, l’équipe visiteuse s’incline logiquement sur le score de 1-0. Puis, les médias salvadoriens ne manquent pas de galvaniser une rivalité déjà bien à point en couvrant le suicide d’une jeune femme qui se serait donnée la mort d’une balle dans le cœur après la défaite de sa sélection nationale. L’impact de cette affaire est tel que ses obsèques sont télévisées et en présence du président.

Si la situation semble déjà tendue, tout se gâte lors du match suivant. Quand les Honduriens se rendent à San Salvador pour la deuxième manche, les tensions entre les deux pays n’ont jamais été plus virulentes. Les joueurs visiteurs trouvent dans leur chambre d’hôtel en mauvais état – une fenêtre est cassée – œufs pourris, rats morts et serviettes puantes. Ils passeront également une nuit blanche. Le jour J, l’hymne du Honduras est moqué, le drapeau national n’est pas déployé et les supporters honduriens subissent des violences. Logiquement intimidés, les joueurs de la sélection hondurienne s’inclinent 3-0. L’entraîneur de l’époque, Mario Griffin, raconte :

« Avec de telles circonstances, les joueurs n’avaient évidemment pas la tête au football. Tout ce qui les préoccupait était de sortir du pays vivants. Nous sommes très chanceux d’avoir perdu ce match. »

Rencontre extra-sportive

Considérant les menaces de violences envers les Salvadoriens lors du match décisif, la FIFA décide de délocaliser la belle à Mexico le 27 juin. Si la police mexicaine parvient à maintenir un ordre relatif mais suffisant au déroulement du match remporté 3-2 par le Salvador qui assure de fait sa place au Mondial, les violences principalement sous forme d’émeutes ne cessent pas. Les hôpitaux surchargés dénombrent même quelques morts. Des courtoisies sont aussi échangées, les Honduriens accusant les arbitres de corruption et les Salvadoriens de triche.

Dans les heures qui suivent le coup de sifflet final, c’est une autre confrontation qui démarre, militaire cette fois. D’abord, le Salvador rompt ses relations diplomatiques avec le Honduras et des escarmouches ont lieu à la frontière, rapportées de manière abusive par la propagande des deux camps. Puis, le chef d’État salvadorien bombarde et envahit son voisin le 14 juillet. Puisque les deux pays sont sous embargo américain concernant l’achat d’armes, les protagonistes ont recours à des équipements dépassés datant de la seconde guerre mondiale. Cette guerre est aussi la dernière de l’histoire à témoigner de duels au pistolet entre soldats.

L’Organisation des États américains (OAS) force rapidement un cessez-le-feu, bien que le traité de paix formel ne soit signé qu’en 1980. Si la Guerre du Football n’aura duré que cent heures, elle eut de grandes conséquences pour le Salvador. Son économie, déjà fragile, se voit fortement affaiblie car nombre de Salvadoriens sont bloqués de l’autre côté de la frontière. En outre, les tensions entre les deux pays, qui se disputent toujours le même territoire à l’origine du conflit, sont loin d’être enterrées. Une guerre civile de douze années s’en suit donc au Salvador, jusqu’à ce que la Cour Internationale n’accorde ces terres au Honduras.

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"Le joueur de football est l'interprète privilégié des rêves et sentiments de milliers de personnes." César Luis Menotti.