Le 8 janvier 2010, au Cabinda, l’enclave de l’Angola entre la République Démocratique du Congo et la République du Congo, le bus de l’équipe nationale togolaise est mitraillé. Dans l’attentat, plusieurs joueurs et officiels sont touchés, ainsi que des membres de l’escorte. Retour sur l’une des pages les plus sombres du football en Afrique.

« Écrasante histoire l’espoir est à la cave… »

Toute l’histoire commence en 2006, quand l’Angola est sélectionné par la CAF, pour la première fois de l’histoire, pour organiser la Coupe d’Afrique des Nations 2010. Malgré quelques petits problèmes techniques, la compétition n’est pas sujette à annulation ou modification de son lieu. Au contraire, le pays semble même se préparer plutôt bien pour accueillir la CAN. Parmi les seize pays qualifiés pour la compétition, on retrouve le Togo d’Emmanuel Adebayor, qui, pour la septième fois de son histoire, est parvenu à atteindre les phases finales de la plus prestigieuse des compétitions de football en Afrique.

Afin de se préparer au mieux pour la compétition, et son début prévu le 10 janvier, l’équipe du Togo se réunit quelques jours en amont. Les joueurs s’entraînent pendant une petite semaine au Congo, et s’apprêtent, le 8 janvier, à rejoindre l’Angola. Dans leur bus, encadrés par une escorte, l’ambiance est au beau fixe. Les joueurs, parmi lesquels Jacques-Alaixys Romao ou encore Matthieu Dossevi, plaisantent entre eux. Une rapide collation est prise à la mi-journée. Vers 15h15, le bus traverse la frontière avec le Cabinda. Et là, l’enfer se déferle pendant une vingtaine de minutes.

Un tir de roquette vient déchirer le silence étouffant. Des rebelles des Forces de Libération de l’Etat du Cabinda/Position Militaire mitraillent le bus à la kalachnikov. Le pare-brise éclate sous la pression des balles, le chauffeur s’effondre touché par un tireur d’élite rebelle. En sang, il parvient à faire avancer le bus sur près d’un demi-kilomètre pour sortir de la zone la plus meurtrière. Les dix 4×4 de protection militaire accourent, et de nombreux soldats sont touchés. D’autres ripostent.

« Mon cœur criblé de balles comme un bus togolais a la CAN »

La plupart des joueurs se cachent sous les sièges. A l’exception du gardien Kodjovi Obilalé, alors portier de la GSI Pontivy. Croyant à des pétards, celui-ci se lève et sent une balle se loger dans ses vertèbres. Il s’effondre, mais respire encore. Il survivra. Mais sa carrière, brisée comme son corps, ne s’en remettra pas. Le défenseur central Serge Akakpo aura plus de chance. Malgré les deux balles logées dans son dos, il pourra continuer d’évoluer au plus haut niveau, en Europe orientale majoritairement.

Mais les joueurs ne sont pas les seules victimes. Le chargé de communication de l’équipe se fait salement toucher. Une balle dans le ventre. Il n’en réchappe pas. L’entraîneur adjoint de l’équipe, aussi. Lui non plus ne survivra pas. Les commandos parviennent peu à peu à dégager le bus de l’embuscade. Les joueurs prient pour leur vie. Pendant ce temps, les tirs se calment peu à peu. Très lentement, mais aussi vite qu’ils le peuvent, les militaires évacuent les joueurs en camionnettes jusqu’à l’hôpital le plus proche. Pendant une vingtaine de kilomètres, avec des balles qui continuent à fuser au loin, la peur bien ancrée dans la peau, les véhicules parviennent à avancer.

Traumatisés, les joueurs togolais restent pendant plusieurs heures à l’hôpital, complètement hébétés. Personne ne sait quoi faire. Les soins se prolongent sur plusieurs des membres de la délégation. Plusieurs des militaires, touchés, survivent. D’autres n’ont pas cette chance et laissent leur vie dans cette embuscade meurtrière. En Europe, les rédactions de presse sont lentement informées. Les informations sont contradictoires. Le médecin de l’équipe nationale est successivement déclaré mort, vivant, puis gravement blessé.

Des responsables ?

Après l’attaque, les responsables sont recherchés. Il y a bien sûr eu la condamnation, au mois de décembre 2010, du principal suspect, João Antonio Puati, à vingt-quatre années de prison. Mais il y a aussi toutes les responsabilités indirectes. A commencer par la fédération. Matthieu Dossevi, amer, témoignait ainsi de ses doutes et de ses incompréhensions.

« Il y avait 70 kilomètres à faire et la Fédération [togolaise de football] avait pris la décision de prendre le bus. Apparemment, il y avait eu des directives pour que toutes les équipes arrivent en avion ; ce que nous ne savions pas sur le moment, nous les joueurs. »

Mais ce qui a le plus choqué l’opinion publique, cela a été la réaction du monde footballistique. Plutôt que de venir en soutien à l’équipe nationale, ces derniers ont été comme mis au ban par le football africain, après s’être retiré de la Coupe d’Afrique des Nations sur ordre gouvernemental. Le Togo avait en effet été suspendu de participation aux qualifications pour les compétitions internationales par la CAF, une suspension finalement levée quelques mois plus tard. Une incompréhension, aussi, de la part des joueurs. Là encore, Matthieu Dossevi a toujours un peu de mal à comprendre.

« Les cadres de l’équipe, Emmanuel Adebayor, moi, on a discuté un peu avec la sélection de Côte d’Ivoire. Sur le coup, Didier Drogba est choqué aussi, il dit que la sélection ivoirienne ne jouera pas son match. Pareil avec la sélection ghanéenne. Tout le monde était d’accord pour ne pas jouer. Ils ont ensuite changé d’avis, c’est un peu dommage. J’avais vraiment confiance en Didier Drogba là-dessus. Je pense qu’ils ont subi des pressions par rapport à leur sélection. »

Après quelques discussions, l’équipe reçoit l’ordre de retourner au Togo. Les joueurs, marqués, regrettent de ne pas avoir pu défendre l’honneur du pays sur le plan international. Et, encore aujourd’hui, portent cette plaie béante dans leur cœur.


Citations de Matthieu Dossevi issues du Monde du 04 février 2015.
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