Le monde est gouverné par des valeurs. Les plus évidentes sont sans doutes celles du Bien, de la Justice, ou encore l’Universel tel que pensé par Platon. Cependant, il semble que le monde ne puisse être conçu sans faire référence à une autre valeur, qui est, à mon sens, la plus importante. Cette valeur, c’est la Beauté. Beauté et football s’entrecroisent dans une danse des corps qui s’embrassent chacun, et c’est ce que nous allons voir aujourd’hui. Poésie, sport, philosophie, aucun domaine d’action ne sera négligé pour cette analyse qui sera loin d’être une simple typologie.

Et la Beauté m’a dit  : « Tu dois changer ta vie »

C’est à peu près en ces termes que dans ses Lettres à un jeune poète, Rainer Maria Rilke, le grand poète allemand, parle de sa rencontre. De sa rencontre avec un torse d’Apollon nu. En effet, en voyant au Louvre cette magnifique pièce, le poète allemand est saisi. Car il sait que rien d’autre que la Beauté ne peut exprimer ce qu’il voit. Et la Beauté ne lâche pas ses impressions aussi facilement que la simple beauté. Or, cette Beauté justement que voit Rilke est la plus pure de toute. Celle qui permet une conversion mystique, loin de toute conception religieuse. Car contrairement à l’idée trop souvent répandue, nul besoin d’être croyant pour penser de façon mystique. Rimbaud l’athée s’est convertit au Harar au mysticisme.

Le football, comme la Beauté, donne matière à réfléchir. En effet, c’est devant la Beauté d’un match de football, la légèreté des corps, l’opulemment du ballon, l’orietur du soleil que la raison du sport prend sa conscience. On sait suffisamment que l’Homme n’a nul besoin matériel de cela. Mais on sait également que tout ce qui permet à l’Homme de trouver un sens à sa vie est important. « Tout est nombre », disait Pythagore de Samos, ou au moins la tradition veut faire croire qu’il a prononcé ces mots. Et de la même manière, on pourrait aujourd’hui dire que tout est Beauté, bonne ou mauvaise. Le football, est, même lorsqu’il est bafoué, une Beauté bonne. C’est simplement le degré qui va varier. Pour vulgariser, voire Guardiola animer son équipe va être à un plus haut degré de Beau que de voire des amateurs tapoter la balle.

« Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux »

« – Et je l’ai trouvée amère. Et je l’ai injuriée. » C’est ainsi qu’Arthur Rimbaud caractérise dans un premier temps son rapport à la Beauté. Il critique très fortement la Beauté comme valeur. Pour continuer notre analogie de type platonicienne avec le football, il faudrait donc dire qu’il n’existe pas de Beauté absolue du football. Et c’est tout à fait vrai. Encore une fois, Rimbaud a raison. Car qui serait assez fou pour venir soutenir devant le jury absolu – divin ? – qu’il n’existe qu’une seule manière de concevoir le « beau jeu ». Qui serait assez inculte du football pour venir critiquer le jeu de possession absolument maîtrisé parce que le jeu de contre absolument maîtrisé est beaucoup plus joli ? Et inversement ? Personne de sensé ne peut sans plaisanter soutenir de telles allégations. Chacun peut avoir une préférence, mais personne ne peut définir d’unique modèle. Car cela suppose de terribles convictions.

En effet, vouloir enfermer le football dans une conception est quelque chose d’idéologique. Et nous savons tous que les idéologies sont nocives – toutes, du communisme au capitalisme en passant par l’athéisme ou le fondamentalisme. Et donc concevoir le football comme une seule manière de jouer pour atteindre justement la Beauté de celui-ci est une idéologie. C’est totalitaire, totalisant même. Pour pousser l’exemple – et je me permet de prendre un exemple, car bien que Platon condamne cela, dans La République, il prend l’exemple de Léontios -, il n’y a qu’un pas à concevoir le football comme une seule manière de jouer et tomber dans le totalitarisme qui a ravagé le XXIème siècle. Je pousse loin la comparaison, mais c’est pour bien voir justement les dérives de cette pensée.

De l’usage de la Beauté dans les corps

Platon est très attentif à la musique comme manière de former l’âme à partir du corps. La musique plaintive (comme le Boléro de Ravel), celle des joueuses de flûtes, est la plus dangereuse. En effet, elle est nuisible « même aux femmes ». Le grand défaut de la flûte est qu’on ne peut parler en même temps. Il faudra avoir du rythme avec du répondant. Comme dans un match de football qui deviendra Beau à partir du moment où le rythme s’en emparera.

Mais il faut savoir étouffer la puissance émotive par la gymnastique, pour éviter d’avoir l’âme des enfants molle et sans vigueur. C’est la raison pour laquelle la gymnastique vient équilibrer l’ensemble. Ce n’est pas le sport moderne qui est la compétition et la quête des records. La gymnastique s’inscrit dans la mesure propre du corps. La musique n’est pas en quête de performance mais uniquement de vigueur corporelle et d’équilibre des humeurs. Pour Hippocrate, la santé correspond à l’équilibre des humeurs, et c’est une telle harmonique que la gymnastique doit installer dans le corps.

Il faut accompagner cette gymnastique d’une diététique, grâce à laquelle nous n’aurons pas besoin de médecins dans la cité, qui sont signes de la décadence de la cité. Avec une telle éducation, les gardiens de la cité seront à la fois vigoureux, doux et disposés à reconnaître leur parenté avec la raison grâce à la poésie. Et les gardiens de la cité sont ceux qui vont faire le philosophe roi. Ceux qui vont permettre de penser la société, i.e. le football. Voilà comment de la Beauté au football, il n’y a qu’un pas.

 

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