Football, rugby et télévision ne font pas toujours bon ménage. Voici un article publié originellement dans la section « la balle au bon » d’un journal français. Il est signé Jacques Ferran. Reproduit fidèlement par NSOL

Les choses vont vraiment très vite.

Il y a quinze jours, les écrans de télévision étaient envahis par le rugby et presque totalement délaissés par le football. L’accord le plus total régnait entre les dirigeants du ballon ovale et la R.T.F., alors que le torchon brûlait toujours plus ou moins entre le ballon rond et la rue Cognacq-Jay.
Et coup sur coup il s’est passé deux événements contradictoires :
1° Un protocole d’accord (tenu secret) a été signé par la TV et le football ;
2° Un « malentendu » (c’est le terme officiel) s’est glissé dans les relations rugby-télévision.

Ce qui fait qu’en ce week-end étrange des 11-12 février, alors qu’au programme du rugby on semblait avoir le choix entre France B-Springboks et Écosse-Galles, tandis que le football n’offrait rien de sensationnel, voici ce que les téléspectateurs ont pu voir sur leur écran :

SAMEDI : 15 h 30-17 h : Vasco de Gama-Real Madrid en football (différé).
— 20 h 30-20 h 40 : Dix minutes de France B-Springboks en rugby (différé).
DIMANCHE : 15 h 30-15 h 40 : Dix minutes de France B-Springboks en rugby (les mêmes que la veille).
— 16 h-17 h 30 : 2ème mi-temps et prolongation de Lyon-Angers en football (direct).

Incroyable mais vrai.

Qu’est-ce à dire ? Que la situation a complètement basculé et que, désormais, les téléspectateurs vont avoir autant de football qu’ils avaient de rugby et aussi peu de rugby qu’ils avaient de football ?
Non, certes.
D’abord, parce que, comme le président de la Fédération de Rugby, M. Crabos, a tenu à le préciser lui même : « Il n’existe pas de différend, si léger soit-il, entre la F.F.R. et la R.T.F., mais un malentendu vite aplani. »
Ensuite, parce que le protocole TV-Football, quoique secret, fait certainement la part moins belle à la télévision que la lui faisait le rugby, avant le « malentendu ».
Il semble plutôt que l’on aille vers un équilibre des deux grands sports de balle sur le petit écran – équilibre normal, logique, rationnel, dont on doit se féliciter. Nous regretterions également la situation inverse, qui ferait du football le seul sport admis à la télévision.

Le fait que la logique ait fini par l’emporter ne doit pas cependant nous empêcher de faire les quelques remarques suivantes :
-Officiellement, il n’y a eu entre le rugby et la télévision qu’un « malentendu vite aplani ». Et cependant les téléspectateurs ont été privés d’un France B-Springboks en direct qu’ils attendaient. Et cependant des paroles assez amère et des griefs nombreux ont été échangés à Toulouse, entre M. Crabos (Rugby) et Roger Coudrec (T.V). Et cependant, comme par un fait exprès, le football a régén en maître à la T.V. samedi et dimanche.

Malentendu, certes, mais aussi mauvaise humeur, et désir de prouver au partenaire qu’on pouvait se passer de lui.
La conclusion est que les rapports T.V.-rugby, pour si bons qu’ils soient, gagneraient à être, eu aussi, imprimés noir sur blanc. Ne serait-ce que pour éviter de nouveaux malentendus.

-La retransmission en direct, dimanche après-midi, de la 2e mi-temps d’un match de Coupe prouvre que le football est allé plus loi, au cours de ses conversations secrètes avec la télévision, qu’il l’avait jamais laissé entendre.

En effet, la thèse constante de la F.F.F. et de la Ligue était la suivante : nous voulons bien autoriser tous les matchs de semaine, mais, pour le dimanche, nous ne pouvons laisser téléviser des matches de qui entreraient en concurrence avec les autres rencontres de la journée.
Sans doute ne s’agit-il que d’une 2e mi-temps ; sans doute aussi la retransmission avait-elle été soigneusement cachée.

Il reste que la télévision répétée de matches de football le dimanche après-midi serait contraire à tous les principes défendus par les pouvoirs de football, non seulement en France mais partout à l’étranger.
Curieux, n’est-ce pas, que le football français, qui s’était, jusqu’ici, montré le plus dur du monde dans ses rapports avec la T.V., se montre soudaine le plus libéral.

-En fait, nous croyons que la retransmission en direct d’une mi-temps restera exceptionnelle : une fois par mois en moyenne. Ainsi le football pourra-t-il augmenter sa propagande, sans diminuer ses ressources.

-Il reste que la T.V. est en train de tirer un merveilleux parti de la rivalité Rugby-Football. Jamais sans doute le football n’aurait accepté certaines concessions (du type Angers-Lyon) sans la menace grandissante du rugby. Et peut-être le « malentendu » rugby-T.V. ne se serait-il pas dissipé si vite, si le football n’était pas revenu sur les écrans.

Il en sera de même tant que nos deux grands sports collectifs se considéreront comme des rivaux au lieu de se prendre pour les membres d’une même famille. Je crois que le sport français n’a aucun intérêt à être divisé. Je crois qu’en se déchirant il risque beaucoup plus qu’en s’entraidant.

Dernière remarque. Le football (et il en est de même pour le rugby) à le devoir de surveiller sa propre image sur l’écran de télévision.
Ce Vasco-Real de samedi était à priori un spectacle à ne pas manquer et une propagande pour la balle ronde.

« A l’arrivée », il a été desservi par :

-La qualité de l’enregistrement, si défectueuse que j’ai failli à plusieurs reprises fermer mon poste, préférant ne pas voir Puskas et Gento que d’en deviner les fantômes palis et dansants.

-L’incident plutôt comique de la publicité à l’américaine (inscriptions en surimpression) que nos honnêtes servants de la R.T.F. durent supprimer, coupant du même coup les images de la rencontre.

-Le commentaire de Joseph Pasteur, tout d’une pièce, et qui se transforma très vite en une plainte sur la mauvaise qualité de la rencontre. Mauvais, ce match ? Pas tant que cela si l’on songe à la chaleur, à l’ambiance, à l’adversaire. Vous connaissez beaucoup d’équipes européennes qui, dans ce Maracana surchauffé (Di Stefano perdit plus de 4 kg 1/2 pendant ce match !) et devant ce public effrayant, auraient fait mieux que le Real ?
Ce fut exactement le match que cela devait être : mouvementé, électrisé, plein de fureur, de batailles, d’actions belles et de maladresses explicables. Il fallait raconter cela, faire goûter cela, au lieu de rêver à l’impossible.

NSOL

Article non daté, de Jacques Ferran à l’origine. De plus, les propos ont été reproduit fidèlement, fautes de frappes y compris.

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