La bombe a fait siffler les oreilles de tous les fans de football. Menés par Florentino Pérez, douze des clubs les plus puissants d’Europe décident de se coaliser le dimanche 18 avril 2021 pour concurrencer l’UEFA dans une compétition européenne fermée : la Super Ligue. 48 heures plus tard et après avoir enragé les fans du monde entier, le putsch est sur le point de tourner au fiasco.

L’annonce a été vécue comme une trahison partout autour du globe. Une chose est sûre, la tâche de faire passer la Super Ligue comme la nouvelle grande et prestigieuse compétition européenne n’aurait pas été si simple. Après plus d’un an de pandémie mondiale, à une époque où des clubs comme le FC Barcelone ont une dette s’élevant à près d’un milliard d’euros, les fins lucratives avaient sans aucun doute été au cœur de la démarche. En effet, l’UEFA s’était vue accusée par le club des Douze de ne pas avoir suffisamment fait face à la baisse d’audience de la Ligue des Champions. Et ce malgré la reformulation de la compétition qui a été officialisée ce lundi 19 avril.

C’est donc dans ce contexte que les plus grands clubs européens (exceptés les clubs allemands et français) se retournaient contre l’UEFA. Comment ? En adhérant à un projet élitiste destiné aux clubs les plus puissants du continent, où seulement cinq places seraient réservées aux qualifiés/invités. Les clubs qui font rêver n’importe quel gamin se détachaient alors de l’une des plus belles sources d’émotions du football moderne, la Ligue des Champions, au profit d’une néo-corporation qui entendait agir pour le plaisir des supporters. Seulement, et je le détaillerai plus loin, les frondeurs ont fait preuve d’une vision réductrice de la passion des joueurs et supporters, et se sont complètement trompés sur ce que ces derniers attendent du football.

L’argument de l’affiche

C’était l’atout numéro un de la campagne de propagande de la Super Ligue : elle offrait des grandes affiches entre grands clubs, et surtout ne proposait aucune affiche inintéressante, chose que les frondeurs reprochaient fortement à l’UEFA. Cependant, voilà pourquoi les matches « moyens » sont primordiaux dans de telles compétitions.

Les grands matches de Ligue des Champions ne sont pas à l’affiche tous les mercredis. En général, il faut attendre les huitièmes voire les quarts de finale pour retrouver des matches de gala. Mais l’attractivité de ces derniers n’est pas sans raison : leur valeur tient de leur rareté. Un Real-Bayern n’est savoureux que parce qu’il n’a lieu qu’une fois tous les deux ou trois ans. S’il vient ajouter une touche de sublime au calendrier, c’est parce que le reste de celui-ci est bien moins attractif. C’est l’irrégularité et les déceptions qui font ressortir la saveur de ces moments uniques pour les passionnés de football. Cela fonctionne avec le calendrier d’une compétition comme avec le fil rouge de n’importe quelle aventure sportive. C’est ainsi que la formule proposée par la Super Ligue était un crime contre ces rendez-vous galactiques. Car ses 180 matches proposés qui auraient été des rendez-vous immanquables aujourd’hui, seraient devenus des rituels demain. Et il n’y aurait cette fois eu aucun remède pour faire face à la lassitude des supporters.

En plus de cela, l’enjeu est capital pour savourer une grande affiche. Un Barça-Juventus n’est bon que s’il y a une qualification à aller chercher. Or il n’est pas garanti que proposer à chaque équipe neuf matches contre des cadors européens aurait été une bonne solution pour conserver l’enjeu dans chacune de ces rencontres. Certes le côté lassant de la phase de poules des coupes européennes peut être reproché à l’UEFA (ce que les frondeurs n’ont pas manqué de faire). Mais derrière ces quatre mois ternes de la Ligue des champions (qui viennent d’ailleurs d’être reformulés) comblés de matches peu attirants, se cache le sublime de la phase à élimination directe, avec cette fois des grandes affiches à la clé. Quelle aurait été la saveur d’un PSG-Liverpool en quart de finale de Super Ligue, si Paris avait déjà joué la Juventus, le Real, Barcelone, Milan, et les deux Manchester en phase de poules ? Et pire encore, quelle aurait été la saveur de ces matches au bout de 4 ans sachant qu’ils auraient été joués chaque année ? La même qu’un match de championnat à l’heure actuelle, mais sans cette fameuse compétition suprême à côté pour combler quelque lassitude.

Vous avez dit compétition ?

La remise en cause de la définition du sport et de la compétition suffit pour prendre conscience de l’ampleur de la crise qui a eu lieu. Et jamais il n’aurait été imaginable de devoir rappeler à des présidents de clubs de football de quoi s’agit notre passion. Mais nous en étions malheureusement à ce point-là.

Si la passion d’un supporter peut s’étendre sur une vie, c’est parce qu’elle est animée par ces éléments centraux qui écrivent le fil de l’existence de chacun : les objectifs. C’est par sa passion qu’un supporter se voit emporté dans les mêmes objectifs que ceux de l’équipe qu’il aime (selon un sondage réalisé sur ma chaîne YouTube, 95% des 2400 votants supportent un club en particulier). Il savoure autant que les joueurs les buts marqués, les matches gagnés, les qualifications et les titres remportés (c’est entre autres pour cela qu’il est surnommé « le douzième homme »). Parallèlement, il se sent concerné et émotionnellement dépendant de la compétition à laquelle est confrontée son club de cœur pour parvenir à ses objectifs. La compétition compte donc aussi beaucoup pour les supporters. Plus encore, elle est primordiale pour nos émotions.

La Super Ligue venait cependant poser des limites à la compétition sportive. Cette association des « plus riches » posait une frontière purement financière entre les institutions les plus puissantes et d’autre clubs qui ne pouvaient donc plus rêver de rencontrer les plus grands grâce à leurs performances. Ces équipes auraient rencontré un plafond à leur objectifs, un plafond qui n’avait rien de sportif contrairement à ces derniers. Et c’est de cette impuissance dont souffraient joueurs et supporters : les performances sportives ne suffisaient plus pour gravir des échelons. Le mérite sportif avait été placé en dessous du mérite économique par les pères fondateurs de la Super Ligue. De l’autre côté, les cadors auraient joui de leur puissance financière qui leur permettait de se confronter entre eux. Et peu importaient leurs performances dans la ligue fermée, ils auraient joué autant d’affiches de prestige chaque année et auraient bénéficié de la plus haute compétition, de laquelle se voyaient injustement privés les autres clubs non retenus par l’élite.

L’éthique sportive en danger

Cette phrase est devenue bateau mais ô combien véridique : le football est un business plus qu’un sport aux yeux de ces frondeurs. La préoccupation de la situation financière des plus grandes écuries européennes a été préférée à celle de la conservation de l’éthique sportive.

Si le sport est représenté par la compétition, il n’en demeure pas moins que le respect et la solidarité font partie des valeurs enseignées dès le plus jeune âge. L’apprentissage est parfois long, mais est généralement terminé depuis longtemps pour un président de club de football. Ce n’était visiblement pas le cas pour ceux du club des Douze. Cette ligue fermée a été créée entre grands clubs européens, comme une classe de CM1 refuse de partager le terrain avec les CE2 à l’heure de la récréation. En dehors de ça, la Ligue des Champions est ce tournoi intergénérationnel qui donne une chance au Petit Poucet de renverser le plus expérimenté, même si le public préfère toujours voir les meilleurs s’affronter pour la garantie du spectacle.

C’est ainsi que les frondeurs qui disaient agir pour le plaisir des supporters les ont rendus verts de rage tout autour du globe en l’espace de deux jours. Les meilleures équipes du monde, et par conséquent les plus grandes communautés de supporters au monde, se sont vues humiliées par leurs propres institutions qui ont préféré sacrifier le respect des valeurs sportives à des fins lucratives. C’est ainsi que les élites posaient définitivement une barrière entre le football business et les amoureux du ballon rond.

« Dans un club de football, il y a une sainte trinité : les joueurs, le manager et les supporters. Les présidents n’ont rien à voir là-dedans. Ils sont juste là pour signer les chèques. »

Bill Shankly (1913-1981), figure emblématique de Liverpool

Les frondeurs ont pris des décisions sur le football à dimension monumentale, sans même prendre considération de ceux qui savent parler de leur passion mieux que personne, de ceux qui verront leurs émotions périr sous l’emprise industrielle du sport le plus populaire du monde : entraîneurs, joueurs et supporters.

A propos Augustin Cotreuil 4 Articles
"Il n'y a pas d'endroit dans le monde où l'homme est plus heureux que dans un stade de football." Albert Camus