Étoile montante de plus en plus brillante dans la galaxie du football mancunien et anglais, Marcus Rashford a maintenant fait son nom sur la scène footballistique. Ce dont on connaissait moins de lui, en revanche, c’est sa capacité à être décisif hors des terrains. Ailier de terrain, neuf de cœur : zoom sur l’autre facette de son année 2020, celle de l’activisme.

Passe décisive

Tout commence à Wythenshawe, ville bordant Manchester par le sud. C’est dans cette banlieue très modeste qu’est né et a grandi Marcus Rashford, et c’est naturellement de là qu’est partie, en octobre dernier, la vague de générosité initiée par l’avant-centre de United. Le centre communautaire de la ville est l’épicentre et le microcosme de ce qu’il a déclenché à l’échelle nationale. La forme n’est pas révolutionnaire. Il s’agit d’un réseau bien huilé entre les bénévoles, les associations caritatives (la principale étant FareShare) et les commerçants ou restaurateurs pour parvenir jusqu’aux bénéficiaires. Il suffisait « juste » de lui donner un coup de pouce. Sur tous les plans.

Marcus Rashford et ses quelques lieutenants bénévoles comme Kirsty Taylor, gérante du centre de Wythenshawe, se sont tout compte fait chargés de tâches manquées ou abandonnées par la classe politique. En effet, Marcus Rashford se bat de toute son influence pour que les bons alimentaires, destinés à un écolier anglais sur cinq, perdurent pendant les vacances estivales car beaucoup de parents ont vu leur situation se dégrader à cause du manque d’emploi lié à la pandémie. Ces bons remplaçaient la gratuité de la cantine, dont les enfants issus de milieux précaires ne pouvaient bénéficié pendant le confinement. En juin, alors que le gouvernement britannique avait fait voter leur suppression, Rashford pousse Boris Johnson à reconsidérer. Les bons sont maintenus pour cet été via le « Covid summer food fund ».

Contre-attaque

Seulement, ce combat d’une semaine de campagne médiatique et de coups de fil au pouvoir n’était qu’une bataille. La guerre contre la pauvreté alimentaire des enfants durera. Et l’hiver arrive. En octobre, le gouvernement rejette à nouveau la poursuite des bons alimentaires. Il faut faire des économies. Mais Rashford ne l’entend toujours pas de cette manière. La campagne médiatique reprend de plus belle, cette fois accompagnée d’une pétition officielle qui a recueilli plus d’un million de signatures, ainsi que de la fameuse campagne de dons organisée dans toute l’Angleterre lors de la dernière semaine d’octobre et largement relayée sur les réseaux sociaux du joueur.

La ferveur est telle que l’opération est un grand succès. Demeure néanmoins le sentiment que, dans un monde normal, nous ne devrions pas en arriver là. Marcus Rashford parvient à renverser la vapeur après un appel en personne de Boris Johnson  : ce dernier revient à nouveau sur sa décision et annonce la reprise des bons jusqu’à Noël 2021. C’est un demi-tour politique majeur, allant même au-delà de la demande initiale du parti travailliste qui proposait d’étendre la mesure jusqu’à Pâques.

L’action de Marcus Rashford ne fait alors que gagner en envergure. Quand il est question de ne pas laisser un enfant s’endormir le ventre vide, les rivalités footballistiques ne sont pas comme les rivalités politiques : elles se dissipent. Nombreux sont les footballeurs et clubs concurrents voire rivaux comme Leeds ou Liverpool, à avoir applaudi cette initiative avant de lui emboîter le pas, en s’y mettant ou en renforçant les programmes existants. Reece James, de Chelsea, est par exemple en pleine levée de fonds pour sa ville. À Londres, la pauvreté alimentaire touche un million et demi d’adultes et huit cent mille enfants, dont la moitié sont prompts à sauter un repas chaque jour.

Offensive collective

L’attrait de Marcus Rashford pour cette cause n’est pas anodin. Cadet d’une fratrie de cinq, fils d’une mère célibataire, il a grandi dans un quartier défavorisé et en proie aux gangs dans lesquels aucun des garçons, heureusement, n’a plongé. D’échange de maisons en petits boulots, Melanie Rashford s’en sort en étant elle-même bénéficiaire de ces repas gratuits pour les enfants. Au terme d’une gestion remarquable de persévérance, elle parvient en prime à offrir à son cadet le début d’une carrière de football. Elle est aidée par Dave Horrocks, président des Fletcher Moss Rangers où Marcus a débuté le football à l’âge de six ans. Celui-ci conduit – dans le sens éducatif et littéral du terme – l’attaquant en herbe jusqu’à l’académie de Manchester United qui lui octroiera une carrière et de quoi assurer les comptes de sa famille. On comprend donc aisément l’envie de renvoyer l’ascenseur. Mais il faut voir la manière.

Avec ses vingt-deux buts la saison dernière sous le maillot des Red Devils, Marcus Rashford était déjà le héros d’un bon nombre de Mancuniens. Cette année, il est devenu une sorte de héros des temps modernes pour une génération d’enfants et de parents. Il a pointé du doigt un problème et s’en est occupé comme rarement un footballeur n’eut tant de cœur.

Sur le plan financier et matériel d’abord, Rashford a mis la main à la patte et au portefeuille afin de créer tout un réseau aux moyens et méthodologies suffisantes pour l’approvisionnement de repas en très grand nombre. Sur le plan symbolique surtout, il a non seulement réussi à fédérer la générosité autour de lui, mais aussi à délier les langues de parents souvent peu enclins à se faire aider, le tout en faisant plier le gouvernement deux fois de suite.

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"Le joueur de football est l'interprète privilégié des rêves et sentiments de milliers de personnes." César Luis Menotti.