Il y a un peu plus d’un an, tu es parti. Il y a un peu plus d’un an, tu t’es envolé de cette planète. Comme ça. Subitement. Sans prévenir. Alors que tu transpirais la vie. Alors que tu avais rangé ton paquet de cigarettes. Et quand bien même tu ne buvais pas d’alcool. Trop vite. Trop jeune. Même pas soixante-dix ans. Violemment. Avec mes mots maladroits, je veux te rendre un hommage, bien trop futile pour ce que tu étais. Un hommage que je n’ai pas eu le courage d’écrire avant. Trop faible. Mais un hommage nécessaire, plus pour moi que pour toi. Car j’ai aimé le football, avec toi.

Aux Costières

Notre première rencontre autour du football, elle s’est faite aux Costières, à Nîmes. J’étais encore gamin, quand tu m’avais emmené, dans ta voiture qui sentait bon la menthe. En fond, comme toujours depuis le départ de ta femme, il y avait RMC. Avant le match. Après le match. C’était un mercredi, je crois. Un match décalé, en retard, ou en avance peut-être. Le Nîmes Olympique était alors en Ligue 2. Tu n’as pas connu la joie de les voir remonter en première division. Toi qui étais là, à tous les matchs, assis dans les gradins, sans jamais prendre la même place. Je me souviens, tu refusais d’aller avec les ultras. Tes oreilles et ton corps ne supportaient pas l’agitation des tribunes. Ce qui ne t’empêchait pas d’aller supporter avec courage, semaine après semaines, les crocodiles.

De ce match, je ne me souviens pas grand chose. Sur le terrain, il y avait bien cette ancienne gloire de Ligue 1, déjà longtemps passée par le sud de la France. Je me souviens avant tout de toi. Tu me parlais, tu me racontais le match. Pas comme un commentateur. Non, pas comme un commentateur. Comme quelqu’un de normal, avec ta voix rauque et délavée comme un blue-jean. Tu me racontais… Je ne sais plus exactement ce que tu me racontais. J’invente sans doute au fond de ma tête, ce que tu me racontais. Je me fais des films, des images. J’essaye de me demander ce que tu as bien pu me dire. Aucune importance, plus personne ne s’en souvient. On était deux. Tu es mort, j’ai oublié. Le temps a fait son œuvre destructrice.

Apprendre

Je n’ai pas appris ta mort tout de suite. C’était peut-être encore un peu plus dur. Je ne pouvais pas l’apprendre, elle m’aurait brisée. Mais je leur en ai voulu, quelque part, de ne pas me l’avoir dit. Je me souviens encore de la situation. J’étais à Lyon, le long du Rhône. A quelques dizaines de mètres de cet immonde édifice moderne et fabuleux qu’est le musée des Confluences. Je n’ai pas fondu en larmes tout de suite, je n’y croyais pas. Ce n’était pas possible. Pas toi. Pas à ce moment, où ma vie prenait un tour nouveau. J’aurais aimé pouvoir te rendre la pareil. Pour tous les matchs que l’on avait fait ensemble. J’aurais… mais… Oui… Oui, j’aurais aimé t’inviter, mais je ne l’ai pas fait. J’aurais aimé te remercier, mais je ne l’ai pas fait. Je m’en voudrais éternellement, de ne pas l’avoir fait…

Il est trop tard, désormais, pour te redire quoi que ce soit. Je ne crois pas que là-haut dans les cieux il y ait un vieux bonhomme, fumant un cigare avec sa longue barbe. Mais si jamais un vieux barbu existe, j’aimerais bien qu’il te fasse lire ces quelques lignes. Qu’il te dise que je t’aimais, même si je n’ai pas pu te le dire. Que du haut de mes douze ou treize ans à l’époque… Je t’admirais, tout ce que tu savais. Cette culture footballistique incroyable, ces références hors du commun. Tout ça s’est perdu dans le néant. Je n’ai jamais pu te faire ces adieux sur ta tombe, je n’ai pas pu, alors je les fait maintenant, quand je peux, quand j’y arrive enfin. Je pense à toi, tous les jours où un ballon roule sous mon nez.

Je sais ce que tu m’aurai dit. Tais-toi, et va vivre.

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« Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on le peut reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui ». (Jonathan Swift, 1667-1745)