C’est officiel, Ribéry quitte le Bayern à la fin de la saison. Et alors qu’un match jubilé sera organisé en 2020 pour lui et Robben, on imagine que la fin est aussi proche pour le Néerlandais. En revanche, un autre joueur symbolique du Bayern a disparu, plus métaphoriquement cette fois-ci, depuis quelques années : Thomas Müller. Tentons de percer ce mystère.

Respect

Il semble avant tout utile de revenir brièvement sur la carrière de Thomas Müller. Depuis son premier titre en 2010 avec le Bayern München, il faut dire que son armoire à trophées n’a pas eu le temps de prendre la poussière. On se souvient bien sûr de la Ligue des Champions et la Coupe du monde glanées respectivement en 2013 et 2014. Auxquelles s’ajoutent une Coupe du monde des clubs et une Supercup. De plus, Thomas Müller est – excusez du peu – octuple champion d’Allemagne avec les Roten. Enfin, saupoudrez le tout de quatre coupes et cinq supercoupes d’Allemagne.

Par ailleurs, Thomas Müller possède, au-delà d’un portfolio bien garni, un des styles les plus individués du football moderne. Auto-conceptualisé « Raumdeuteur », que l’on pourrait traduire par le lecteur ou l’interprète de l’espace, son style est si difficile à définir que les observateurs ne se sont pas fait prier pour reprendre l’expression. À titre de première piste, cette lecture de l’espace, donc des intervalles et de la profondeur, peut nous intimer une ressemblance avec le rôle de renard des surfaces. Mais cela reste opaque.

OVNI

En 2013, les Cahiers du Football théorisaient le rôle du « renard des couloirs » avec l’observation de la mutation de Cristiano Ronaldo. Cet ailier qui délègue les tâches défensives et adopte des comportements de la pointe classique. Un profil d’autant plus efficace dans un football qu’aucun neuf ne surdomine depuis la retraite de Ronaldo Nazário. Aujourd’hui, on a pu assister à la version finale de Cristiano, qui l’a poussé à devenir un joueur d’axe.

Seulement voilà, ce n’est pas suffisant pour décrire Thomas Müller. Il n’est pas ce génie à qui l’on épargne les tâches défensives et qui marche quand il ne dribble pas. Mais il possède en revanche cette aptitude à exploiter les intervalles. Étirer les lignes adverses, repiquer dans l’axe ou reculer : l’attention du Bavarois ne se porte pas tant sur la finition que sur la création de cette dernière. Un style à part qui n’est en fait que la conséquence de ses limites. Müller n’étant ni particulièrement rapide ni extraordinairement technique, son intelligence fait le reste.

De fait, il ne sert proprement à rien pendant une grande partie du match. Il déborde rarement un défenseur. Il est peu présent sur les circuits de passes. Son utilité réside dans son invisibilité. Et son efficacité le prouve, alors même que l’entraîneur n’est jamais certain que Müller soit utile une seule fois du match.

Déclin

Cette crainte de l’inutilité que l’on pût avoir a malheureusement eu une forte tendance à se concrétiser ces dernières années. Le point de rupture se trouve en 2016. Le Bayern joue alors sa dernière saison sous les ordres de Guardiola, dont le passage restera en demi-teinte à cause des échecs européens. C’est justement lors de la demi-finale de la Ligue des Champions que Thomas Müller voit son pénalty arrêté par Jan Oblak. Il ne le sait pas encore, mais faire trembler les filets madrilènes sur ce coup-là aurait probablement envoyé le Bayern en finale.

S’en suit alors l’Euro 2016 avec la Mannschaft. Probablement à cause de sa confiance sabordée, Thomas Müller y réalise de piètres performances. Méconnaissable, il ne marque pas et manque même un nouveau pénalty. Il rentre donc à Munich en broyant du noir alors qu’il vient de conclure sa plus belle saison. Avec 32 buts et 12 passes décisives, le cru Thomas Müller 2015-2016 est le plus prolifique de sa belle carrière. Il ne retrouvera jamais cette forme. Des performances extraordinaires, d’autant plus pour un joueur dit de l’ombre, qui se seraient évaporées en un été ? Est-ce vraiment une simple question de confiance ?

Burnout ?

Décliner à 27 ans n’est pas habituel. Les joueurs qui régressent sont les jeunes qui étaient jusque-là en surperformance et/ou qui n’arrivent plus à concrétiser les espoirs que l’on avait placés en eux ; ou encore les joueurs en fin de carrière qui entament leur pente descendante, enclenchée par l’usure physique. Or, généralement, aucun de ces cas ne se manifeste à 27 ans. À moins que cette fatigue physique ne prémature un déclin à cause d’une surutilisation par le passé.

Il est vrai que l’utilisation de Thomas Müller par ses entraîneurs interpelle. Depuis qu’il s’est imposé au Bayern et jusqu’à cet Euro 2016, il joue en moyenne 3 776 minutes par saison, en club. Nombre digne d’un gardien qui ne disputerait pas les coupes. À cela, il faut ajouter deux Coupes du monde, desquelles il dispute à chaque fois le nombre de match maximum (petite finale en 2010, finale en 2014), et deux Euros. Une surcharge physique combinée à une chute de confiance ? L’hypothèse du burnout précoce semble plausible…

La goutte d’eau

Par-dessus le marché, Carlo Ancelotti, arrivé en été 2016, ne s’est pas montré particulièrement adapté à Thomas Müller. Peut-être ne l’a-t-il jamais compris footballistiquement ? Peut-être n’a-t-il pas voulu faire de compromis à son plan de jeu pour intégrer l’international allemand ? Toujours est-il que Müller fut utilisé, cette saison-là, comme le remplaçant numérique d’Arjen Robben. Ce qui ne marchait évidemment pas, les styles des deux ailiers n’étant pas interchangeables. Thomas Müller ne disputera que 3 000 minutes.

Ce n’est guère mieux sous Jupp Heynckes puis sous Niko Kovač. Le premier doit composer avec les blessures du duo Robbery et ne peut offrir mieux à Müller que ce remplacement numérique. Le second doit avant tout gérer une saison laborieuse avec un Bayern vieillissant.

En motif d’espoir, Thomas Müller ne semble pas avoir perdu sa vision du jeu. Si son ratio de but a été divisé par deux depuis son âge d’or, son rendement en passes décisives demeure effectivement stable. Allant sur la trentaine, il y a toutefois peu de chances que l’on retrouve la version de Müller antérieure au pénalty…

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"Le joueur de football est l'interprète privilégié des rêves et sentiments de milliers de personnes." César Luis Menotti.