La première fois est le moment dont on se souvient toute sa vie. Ce moment magique, hors du temps, où l’on se sent grandir en un seul instant. Pénétrer dans ce lieu présenté si longtemps comme interdit. Prendre son temps, tout regarder. Passer sa main sur les courbes fabuleuses. Sentir l’odeur des corps, si particulière et si étonnante. Avoir des étoiles dans les yeux. Une première fois au stade, cela ne s’oublie pas.

Les étoiles du ciel

Le regard de l’enfant qui se pose sur la pelouse pour la première fois est absolument magique. Il est hors du temps, hors du sol, hors de la terre. Il existe par lui-même, et non pas par les choses qui l’entourent. L’enfant oublie qu’il est entouré d’adultes, d’un monde où la bêtise, la traîtrise et la cruauté sont des valeurs exaltées par la société. L’enfant oublie tous ses problèmes, ceux qu’il a dû affronter et ceux qu’il ne connaît pas encore, et se donne tout à son admiration de ce moment.

Il y a d’abord les joueurs qui s’échauffent, les gardiens en premier. Fascination pour ce poste où l’on chute pour mieux se relever. Fascination aussi pour cette fonction qui peut faire perdre mais qui ne fera jamais gagner. Les joueurs de champ rentrent sur la pelouse ensuite. L’enfant essaye de deviner la composition, compare avec ses fiches Panini qu’il a collectionné et garde bien au chaud chez lui au fond d’une boîte. Il connaît par cœur la taille des joueurs, leur numéro, leur poids et leur nombre de buts, mais les voit pour la première fois en vrai.

Il a cette naïveté étonnante qu’ont les gens qui découvrent quelque chose qu’ils n’imaginaient pas. Tant habitué à voir ses joueurs favoris sur l’écran du téléviseur, il en a oublié qu’ils étaient de vrais hommes. Les étoiles dans ses yeux se reflètent dans ses mains, tremblantes, à quelques mètres de ceux qu’il aime.

La passion

Dans ses yeux, outre des étoiles, il y a de la passion. Comme une drogue qui commence à faire effet, il s’élève lentement au dessus du sol, et ses grands yeux écarquillés y sont pour beaucoup. Il ne voit pas le temps passer, et quand l’arbitre siffle la mi-temps, il est déçu. Déçu de ne pas en avoir eu plus, déçu qu’il n’en reste que la moitié. Un passage au toilette avec son père, une barquette de frites partagée, et tout repart de plus belle. Tout à coup, il regarde son père. Il se voit, quinze, vingt, trente ans plus tard, emmenant aussi son fils dans cette arène, dans cet endroit qui est au football ce qu’un musée est à l’art ou un temple à la religion. « Le coryphée des sciences et des arts », écrivait Pasternak quand à la vertu culturelle du stalinisme.

Eh bien le stade est un peu la même chose quant à la culture sportive. On ne choisit pas vraiment d’y rentrer. Le père qui pousse le fils à regarder à la télévision, qui l’emmène sur ses épaules, et qui le laisse vibrer. La mère aussi, parfois, avec sa fille. Mais on crois plus d’hommes à un match de football, comme on croise plus de femmes devant un CSO cinq étoiles. Les habitudes et le machisme ont la vie dure. Mais rien de tout ça ne pourra enlever à cet enfant, qui a six, sept, huit, neuf ou même quinze ans, à cet enfant qui pleure quand son équipe perd et sourit quand son équipe gagne, ce sourire de voir ses joueurs. Les siens, qu’il semble en effet posséder quand il se situe à quelques mètres seulement d’eux. Et les étoiles dans les yeux des enfants, c’est une des plus belles choses qui existe.

Photo de couverture publiée avec l’aimable autorisation d’@hpbboss.

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