Lundi soir, 18h30. Alors que la 38e journée de Ligue 1 a été jouée, la saison de football n’est pas terminée pour tout le monde. Car l’âme du football, c’est ses amateurs, ceux qui tous les lundis soirs, à 18h30, été, hiver, printemps, automne, tapent la balle sur le même terrain en terre battue.

Flaques

Les crampons claquent sur le sol. Dans les vestiaires, les railleries fusent. « T’as pris du poids, toi ». « Eh, t’as vu ce que ton équipe vient de faire ? T’as du courage pour mettre ce maillot ». Les chaussettes sont enfilées, par dessus les protèges tibias. Rares sont ceux qui ont mis des chevillères. Pas la peine, jugent-ils. De toute manière, il pleut dehors, on va pas se jeter sur le sol. Dans son coin, le gardien vérifie encore une fois les rembourrages de son pantalon. Pour sauter dans la terre battue détrempée, il faut du courage.

Une pluie fine tombe sur le terrain en « gore ». Moins drue que pendant la journée, mais elle reste quand même glaçante, surtout avec ce vent qui souffle sur les épaules et les cuisses. Il ne fera pas bon se prendre une balle sur la cuisse ou le torse. Quelques flaques, surtout devant les cages. Normal avec ce que le gardien piétine dans sa zone. Les lignes sont un peu effacées là-bas, à côté des bancs de touche. D’ailleurs, pour ce qui est des bancs de touche, on devrait plutôt parler de pissotières. Les clodos dorment sans doute là la nuit. Des tags, des détritus, la pluie va laver un peu tout ça.

« Allez les gars, quand on sera chaud ça sera sympa ». Pourtant, ce n’est pas très agréable de sortir de ces vestiaires pour aller dans le demi-froid extérieur. « On met de la musique ? ». Les enceintes sont placées dans un sac, sur ce banc de touche dont personne n’a jamais compris l’utilité, ce banc entre ceux des deux équipes. « Le délégué, quand y a un match ». Cela fait bien longtemps pourtant qu’un délégué n’a pas mis les pieds ici.

Tacles

Allez, un petit tour de terrain pour s’échauffer. Puis un deuxième. « L’état du terrain ne s’est pas vraiment amélioré depuis la dernière fois ». Normal, en même temps, personne ne s’en occupe. Le jardinier pendant ce temps là tond le terrain à côté, celui de l’équipe première. Il a bien du courage lui aussi de venir bosser à cette heure sous la pluie. L’entraîneur n’est pas encore arrivé, alors on fait un autre tour de terrain. C’est lui qui a les clés du local à ballons. Ah, le voilà qui arrive. « Je suis désolé les gars, y avait des embouteillages. » On la connaît celle-là, pas la première fois qu’il nous la fait. Bon, on fait avec de toute façon, on a pas vraiment le choix. La clé tourne dans la serrure, allez hop, on prend les ballons, les chasubles et un petit lot de petits plots.

Qu’est-ce qu’on fait désormais ? « C’est simple les gars : allez, un petit tour de terrain pour se mettre en jambe ». « Oh, non, on vient d’en faire trois ou quatre ! ». Alors les plots bleus, rouges et jaunes se mettent à danser sur la totalité du terrain. Les chasubles s’enfilent sur les torses. Pas forcément toujours la même couleur. Il y a deux violets avec trois bleus, deux oranges avec un jaune et deux rouges. Et les deux gardiens ont chacun un vert. On fait avec ce que l’on a, c’est un peu le principe. Premier petit exercice de conservation, les premiers tacles un peu appuyés font hurler l’entraîneur. La pluie a cessée, et c’est pas forcément plus agréable. On sent tout autant l’eau s’infiltrer dans les pieds.

Match

Désormais, c’est à l’opposition de venir. Le moment attendu par tous. Car c’est là qu’on s’amuse vraiment. Les deux équipes se mettent chacune d’un côté du demi-terrain. Les gardiens se plaignent des flaques, l’entraîneur siffle avec ses doigts pour donner le coup d’envoi du match. Les duels sont âprement disputés. Un gros coup d’épaule fait valser le numéro dix technique qui se balade balle au pied. Bien fait pour lui. Il termine sa course dans une flaque, reste à terre quelques secondes en demandant la faute. Personne ne lui accorde quoi que ce soit. Alors tout penaud il se relève, et s’en va mettre un gros tacle à celui qui l’a fait tomber. Pas bien. L’entraîneur siffle à nouveau. « Va faire un tour sur le banc de touche. Et coupe cette musique de merde ! » Il râle, mécontent, mais va s’asseoir. Le match reprend, l’entraîneur en « joker ».

Allez, ça y est, il fait son retour. Il prend la balle, cale un petit pont, dribble le gardien, frappe dans le but vide. La balle rebondit dans une flaque et se stoppe à quelque centimètres de la ligne. Le gardien revient et dégage le ballon hors du terrain. Dans sa doudoune grise avec ses initiales, du temps où il officiait en CFA2, le coach siffle la fin de l’opposition. « Et surtout, les gars n’oubliez pas de vous étirer ». Personne ne le fait. Dommage, car c’est des blessures musculaires à la clé. Dans les vestiaires, tout le monde se précipite aux douches. Vite, se changer, prendre la bagnole, rentrer chez soi vite. « Et vous oubliez pas les gars : on est exempt ce week-end, c’est pas la peine de venir ». De toute manière, on le rappellera à l’entraînement de mercredi. C’est comme ça que le football vit.

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