Hors des cours de récréation, il n’est point de match sans arbitre. Pourtant, les Hommes en noir sont souvent conspués, critiqués, oubliés. Rares sont en effet ceux qui ont traversé les âges, et dont la légende est connue de tous. Pour rendre aux maîtres du jeu ce qui leur appartient, découvrons aujourd’hui l’histoire du premier grand arbitre de l’histoire, John Langenus.

John Langenus, le belge

Rien ne semblait destiner John L. Langenus au football quand il voit le jour à Berchem, dans la banlieue d’Anvers le 8 décembre 1891. Ses parents sont en effet de riches bourgeois, ayant fait fortune à Anvers. Mais voilà, le football est encore un sport de gentlemans, comme le veut le dicton. Et même si cela ne fait que trente ans que les premiers matchs internationaux ont lieu, le football est déjà populaire dans les cours d’école, quand à dix ans, au collège, John Langenus commence à faire un peu de sport. Le destin faisant bien les choses, son collège participe à une compétition interscolaire assez prestigieuse. Il manque un joueur dans l’équipe, et John – que l’on appelle à l’époque Jean – vient faire le nombre. Cette Coupe Cardinal aurait pu lui ouvrir les portes du football professionnel. Mais un mauvais contact et une violente blessure au pied vont empêcher John Langenus de devenir un des premiers grands joueurs belges de l’histoire.

John veut reprendre le football, son père refuse. « Le football, ce n’est pas pour nous. Laisse-le au petit bourgeois, celui qui porte chaîne en or sur la poitrine ». L’arbitrage, par contre, c’est bien mieux. C’est donc en tant que régulateur du jeu que John Langenus officie lors des éditions suivantes de la Coupe Cardinal. Quinze ans, seize ans, à peine, le football s’empare définitivement de son cœur. Petit à petit, John se rend compte que s’il veut progresser dans l’arbitrage, il faut être accrédité. Alors il s’en va auprès des premières fédérations d’arbitrage pour passer un examen. Manque de pot, il tombe sur deux anglais dans son jury. Victime d’un certain chauvinisme britannique, il tombe sur des questions irrésolubles. « Que doit faire le referee si le ballon, envoyé en l’air, est saisi par le pilote d’un avion passant par là ? », lui demande l’un. « Que doit faire le referee si le keeper va s’asseoir sur sa barre transversale et refuse d’en bouger ? », lui demande l’autre. John est recalé, l’arbitrage ne sera pas sa voie, se dit-il.

Trente centimes pour un sifflet

Mais l’histoire de John Langenus ne s’arrête pas là. Car une nouvelle fois, le destin va faire son œuvre. Devant le manque d’arbitres qualifié, Langenus se voit offrir une seconde chance de passer l’examen. Cette fois-ci, le jury est composé de bons professionnels, et John Langenus, bien préparé, réussit sans difficulté à répondre à des questions beaucoup plus classiques. Diplômé, il s’achète un sifflet dans un magasin d’Anvers pour trente centimes. Un premier sifflet, un dernier, veut la légende. « Je n’en achèterais jamais d’autre de ma vie », dit John Langenus. Sa première affectation a lieu quelques jours plus tard. Non loin de sa ville natale, il doit arbitrer un match opposant deux écoles l’une à l’autre. Un match d’écoliers, mais pas un match amical. L’un des deux proviseurs veut la victoire a tout prix. Il va voir quelques minutes avant le match Langenus dans les vestiaires, et lui hurle aux oreilles qu’il veut voir son équipe l’emporter.

Calme et posé, Langenus fait la sourde oreille aux menaces de ce proviseur frustré. Et quand les deux formations se séparent sur un score de parité, Langenus rentre aux vestiaires avec le sentiment du devoir accompli. Ce n’est pas l’avis de l’homme d’éducation, qui fracasse à moitié la porte pour aller se plaindre auprès de John Langenus. Le ton monte entre les deux hommes. « Je te briserais les jambes si jamais tu ose remettre les pieds ici, plus jamais tu ne nous arbitreras », crie le plaignant. Langenus fait part de ces menaces aux organisateurs du match, et aucun mal ne lui arrivera à ce propos. La légende veut que le professeur ait été radié, mais nul ne sait réellement ce qu’il advint de lui.

Outre les matchs scolaires au cours desquels il officie en tant qu’arbitre principal, Langenus est aussi arbitre de touche. L’œil acéré, et surtout grâce à son physique de compétition, il fait merveille et est sollicité par les meilleurs arbitres du royaume. Toujours avide de connaissance et d’expérience, John Langenus va jusqu’à être le referee de trois matchs par jour. Certains dimanches, il se lève en effet à six heures pour arbitrer un match en matinée, un en début d’après-midi et un dernier avant le tomber du soleil. Et face à l’absence de trains et de voitures, Langenus parfait sa forme physique en reliant les différents stades à pied.

Force, honneur, courage

Face à ces qualités, la fédération belge qui commence à s’établir autorise John Langenus à se présenter aux examens théoriques pour devenir arbitre au premier niveau national. Pas de questions absurdes, et Langenus passe avec succès l’épreuve. Sa première partie ne se fera cependant pas en première division, mais lors d’un match opposant des équipes réserves. C’est en effet un affrontement entre le Standard de Liège B et leurs homologues du Beerschot AC pour lequel Langenus est désigné. Il arbitre sans problème le match, et tout à coup, le destin lui tend à nouveau la main. « L’arbitre est absent pour le match des équipes premières, monsieur Langenus. Voulez-vous arbitrer ? ». Langenus n’hésite pas un instant. « Non, je ne suis pas encore assez costaud pour cela ». Lucide, pour un homme qui passera quelques jours plus tard son examen pratique, là aussi avec réussite.

Une fois son accréditation en poche, il est désigné pour un match sous haute tension. Ce FC Liégeois-Daring de 1912 n’est pas une partie de plaisir. L’arbitre originellement choisi est persona non grata à Liège, et déclare forfait. Langenus répond présent, et s’en va arbitrer cette rencontre. Mais pas d’internet à l’époque : le public n’est pas au courant du changement d’arbitre, et ses assistants non plus. Il se fait donc huer pendant quatre-vingt-dix minutes. Un de ses assistants le menace physiquement, et, comme l’autorise le règlement, John Langenus le met dehors ! En plus de cela, les joueurs de Daring font le show, et s’imposent 6-0.  Alors qu’il siffle le coup de sifflet final, un spectateur pénètre sur le terrain et le frappe au ventre. La police exfiltre Langenus jusqu’à la gare. Et, pas vraiment responsable, le président de Liège va voir John Langenus et lui dit : « si vous ne savez pas arbitrer, n’arbitrez pas ». Ironie du sort, le liégeois sera débarqué de son poste de dirigeant l’année d’après.

La leçon

Langenus n’arrête pas l’arbitrage pour autant. Il décide même de bien s’équiper en achetant deux montres pour arbitrer un match capital pour le titre, opposant les deux leaders ex-aeco qu’étaient le FC Brugeois et le Racing Bruxelles. Et, avant le match, le président anglais du Racing Bunyan a reçu une montre de sport. Il interpelle Langenus. « Monsieur le referee, pourriez-vous s’il vous plaît porter cette montre sportive ? ». Langenus accepte, et commence la rencontre avec trois outils pour mesurer le temps. Mais cela est visiblement un peu trop. Obnubilé par son chronomètre moderne, il en oublie de regarder l’heure au début de la rencontre et n’arrive pas à lancer le décompte du temps. Seulement, il s’en rend compte alors que la première mi-temps est bien entamée. Et, malheur, il n’y a pas d’horloge dans le stade. Alors il s’en remet à son instinct. « J’ai décidé de siffler à vue de nez la fin de la mi-temps ». Son coup de sifflet est ferme, et personne ne conteste. John Langenus qualifiera a posteriori cet épisode de « grande leçon ».

John Langenus lors d'un Suisse - Allemagne
John Langenus lors d’un Suisse – Allemagne

Alors que la guerre commence, John Langenus s’exile aux Pays-Bas. Sa réputation d’arbitre a traversée la frontière avec lui, et il est désigné pour arbitrer un match officiel batave. Il officie à quelques reprises à l’étranger durant la guerre, puis de même après-guerre. Mais son heure de gloire viendra en février 1927. Le premier match de l’Irlande libre se tient, contre l’Italie. Il réalise une prestation magistrale, saluée par la presse. « John Langenus est le meilleur arbitre au monde. Aucun arbitre anglais n’est meilleur que lui ». Le chauvinisme britannique n’est pourtant pas mort. Cela montre donc l’aura dont John Langenus est entouré. Normal donc qu’un an plus tard il officie au cours des JO 1928 dans deux rencontres. D’abord pour un Pays-Bas – Uruguay et ensuite dans le match pour la troisième place. Cette rencontre sera historique, non pas pour la prestation de Langenus mais pour son score : l’Italie humilie 11-3 l’Égypte.

L’Angelus

L’apogée de la carrière arrive en 1930. Lors de la première Coupe du Monde de l’histoire, il est désigné pour arbitrer au cours de six matchs. Lors de deux d’entre eux, il n’est qu’assistant. Mais il est aussi arbitre de deux matchs de groupe et de la demi-finale opposant l’Argentine de Luis Monti aux Etats-Unis de Barth McGhee. Cette demi-finale est d’ailleurs disputée par les States à 10 contre 11. Un américain se blesse en effet au bout de dix minutes, et Langenus obéit au règlement qui n’autorise pas les changements. Ce qui provoque la colère du staff américain. L’équipe médicale notamment est remontée. Après que Langenus a donné une faute pour l’Argentine, l’équipe médicale rentre sur le terrain. Ils balancent leurs produits médicaux sur Langenus, et ce dernier est évacué hors du terrain pendant quelques minutes. L’Argentine s’impose finalement 6-1.

Mais surtout, l’honneur de Langenus, c’est d’officier au cours de la finale de la compétition. L’Argentine s’oppose à l’Uruguay, pays-hôte. Luis Monti a reçu des menaces de mort, et Langenus exige un plan d’évacuation au cas où cela dégénère. C’est Langenus qui désamorce une autre question diplomatique sérieuse. Il suggère de jouer une mi-temps avec chacun des ballons nationaux, au lieu d’en choisir un. Le match se termine sur un score de 4-2 en faveur de l’Uruguay, et aucun évènement n’est à déplorer. Même si le public vilipende un peu Langenus à propos du premier but argentin, selon eu hors-jeu, ce dernier est félicité à travers le monde pour son sang-froid et ses qualités d’arbitre. Un match que Langenus arbitre avec un sifflet publicitaire. Ne voulant en effet pas racheter d’autre sifflet après la perte de son premier, il s’en fait offrir un par une grande marque faisant de la publicité. Il le gardera pour le reste de sa carrière.

Génial

La carrière internationale de John Langenus ne s’arrête pas là. Il est en effet choisi pour officier lors du mondial italien de 1934. Il n’est en action cependant qu’au premier tour pour un Tchécoslovaquie – Roumanie. Quatre ans plus tard, en France, il sort sa première sanction administrative en Coupe du Monde lors d’un Allemagne – Suisse. Bien sûr, le carton rouge n’existe pas encore, mais il sévit quand même. Pour un mauvais geste, l’allemand Hans Pesser est exclu par l’arbitre belge.

Comme un hommage à sa carrière, il désigné à la fin de la compétition pour arbitrer le match pour la troisième place qui oppose la Suède au Brésil. Les brésiliens s’imposeront sur un joli score de 4 à 2, et Léonidas finira même meilleur buteur de la compétition. Ces matchs sont quasiment ses derniers au niveau international. Il sent la fin de sa carrière approcher, et décline de plus en plus les invitations à l’étranger. Un match à Varsovie, un à Bucarest, un autre à Naples et un dernier à Belgrade, et le voilà qui raccroche pour toujours son sifflet.

Après la fin de sa carrière, John Langenus cherche un peu sa voie. En effet, il tente de reprendre les affaires familiales, mais cela ne l’amuse pas vraiment. Il écrit trois ouvrages, sur le football, dont deux qu’il publie en 1943. Avec son ami Jan Vanderheyden, il s’essaye même au cinéma. Dans le film de 1940 Wit is troef, Blanc est atout, il est co-scénariste. Ce film n’atteint cependant pas un grand succès. John Langenus décède le 1er octobre 1952 dans sa ville natale d’Anvers. Et reste à jamais le premier grand arbitre de l’histoire du football mondial, un de ceux qui ont contribué à faire du football ce qu’il est maintenant.

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