La culture générale n’est pas qu’une connaissance variée du présent, mais aussi une compréhension des enjeux passés. C’est pour cela que Tour du Monde, la seule série de football permettant de briller en société, s’intéresse aussi au football passé. Avec toujours ce même leitmotiv: vous faire découvrir des clubs, des joueurs ou des équipes nationales dont vous n’auriez jamais soupçonné l’existence. Et quoi de mieux que de s’intéresser à des équipes nationales disparues pour comprendre l’histoire du « football vrai » ? C’est la raison pour laquelle, dans ce troisième épisode de la saison, nous allons nous pencher sur la défunte sélection nationale de Bohême-Moravie. Attachez vos ceintures, éteignez vos mégots, l’avion va bientôt décoller.

Sur des bases malsaines…

Parler de la Bohême-Moravie renvoie à deux éléments de l’histoire : l’empire austro-hongrois et le IIIème Reich nazi. Commençons donc par le premier. La Bohême-Moravie est une région administrative de cet empire multinational, qui, malgré ce que certains veulent faire croire, fonctionnait de manière tout à fait acceptable. Mais l’empire austro-hongrois n’aura pas survécu au premier suicide de l’Europe. Membre de la Triple Entente, l’Autriche-Hongrie se fait dépecer lors du traité de Saint-Germain, qui marque pour le pays une mort. Le pays est en effet scindé en République d’Autriche Allemande, République démocratique hongroise, République tchécoslovaque, État des Slovènes-Croates-et-Serbes, Royaume de Serbie, République de Pologne, Royaume de Roumanie, Royaume d’Italie et République Populaire d’Ukraine Occidentale. Reprenons notre souffle pour attaquer la deuxième part de l’histoire de la région.

Sous le nom de Protectorat de Bohême-Moravie, les nazis annexent la région, officiellement le 15 mars 1939. La région passe sous contrôle nazi. Grâce à ce qu’ils appellent un « protecteur du Reich », ils assoient leur contrôle sur la région. Des personnalités tragiquement célèbres occupent le poste : Wilhelm Frick et Reinhard Heydrich, tout comme Konstantin von Neurath et Kurt Daluege. Ils multiplient les persécutions raciales et ethniques dans la région, envoyant des centaines de milliers d’innocents à la mort dans les camps nazis situés sur le territoire occupé de la Pologne. Mais le 9 mai 1945, la libération de Prague mettra fin à cette période de terreur, d’insécurité et d’inhumanité que les nazis avaient mis en place, pour le mal de l’humanité. Car si la vraie nature de l’Homme s’est perdue un jour, assurément, elle l’a été pendant ces six années.

Le football triomphe toujours

Mais le football, bien souvent, est indépendant de la politique. Et là où cette équipe de Bohême-Moravie est intéressante, c’est qu’elle est née et morte deux fois. La première naissance a lieu en 1903. Tout commence le 5 avril, quand la nouvellement créée sélection affronte le voisin hongrois. Le match se soldera sur une défaite serrée pour les bohémiens et les moraves. Ou plus exactement de joueurs allemands et autrichiens pour la majorité. Trois ans plus tard, elle adhère à la FIFA, avant d’en être éjectée en 1908. Elle remporte alors le Championnat d’Europe de 1911 organisé par les concurrents de l’UIAFA. Entre temps, la Bohême-Moravie n’a toujours pas battue le voisin hongrois, la faute à deux matchs nuls. En 1907, pensant être supérieurs, il se font également punir 5-2 par leurs voisins.

La première victoire lors du derby arrive l’année suivante, avec une victoire 5-3. Mais, retombant dans ses travers, la sélection reperd contre les magyars l’année suivante. Le premier gros match arrivera en 1908, donc. A Prague, ils défient l’équipe d’Angleterre. Qui les battra sèchement 4-0. Cette défaite est la plus large de l’histoire de la sélection. Après avoir été expulsée de la FIFA, en raison de son statut de région de l’Autriche-Hongrois, elle se qualifie pour les Jeux Olympiques de 1908. Mais elle n’y participera pas, en raison des incidents politiques de la région. Elle joue contre quelques clubs français par la suite : l’Olympique lillois (victoire 15-4) ou le CA Paris (victoire 4-2). Ces victoires sont saluées par la presse, comparées au jeu des anglais, précis, techniques, lents et rapides.

L’origine & la mort

Suite au refus de l’adhésion à la FIFA, la Bohême-Moravie passe sous statut amateur. C’est donc sous ce statut que leur victoire, en France, a lieu lors des championnats d’Europe amateur. Elle y bat notamment la France et l’Angleterre. Elle fait partie des premières sélections, au cours de ce tournoi, à évoluer en 4-3-3. Ce dispositif résiste parfaitement aux sept (!) attaquants alignés lors de la finale par les anglais. Grâce à cette victoire, la sélection espère pouvoir participer aux JO de Stockholm (1912). Mais, n’étant pas membres de la FIFA, leur candidature est à nouveau refusée. Peu après arrive la première guerre mondiale. Alors que les jeunes gens vigoureux partent mourir pour les dollars des puissants dans les bourbiers et les champs de ruine, le football passe au second plan.

La sélection est donc stoppée en 1914, et dissoute totalement en 1916 par les autorités austro-hongroises. La Bohême-Moravie aura donc ainsi fini sa première période d’existence. C’est la Bohême seule qui prend la relève. Jusqu’à son intégration dans la Tchécoslovaquie, cette sélection bohémienne aura disputé sept rencontres officielles, pour une victoire, deux nuls et une défaite. La Tchécoslovaquie, en 1934, atteindra la finale du mondial de 1934. Et aura dans ses rangs le meilleur buteur, Oldrich Nejedly (cinq réalisations). Mais ne la remportera pas, sur le territoire italien, laissant la première place à l’Italie et la troisième à l’Allemagne nazie. Comme un symbole de ce qui allait arriver à la Tchécoslovaquie…

L’acte de barbarie

1939. Un rideau de plomb tombe sur l’Europe. La Tchécoslovaquie, envahie pour des prétextes fallacieux, est donc sous contrôle allemand. La sélection tchécoslovaque est supprimée, et la sélection de Bohême-Moravie est recréée. La sélection remplace la partie tchèque d’une part, tandis que l’équipe de Slovaquie est elle créée d’autre part. La Bohême-Moravie reprend de nombreux tchécoslovaques, dont Nejedly, mais aussi Josef Bican ou Antonin Puc. Emmenée par Frantisek Blazej, elle dispute des matchs contre la Yougoslavie (victoire 7-3) et l’Ostmark, qui succède à l’Autriche (5-5). Si ces matchs ne sont pas reconnus par la FIFA, le nul 4-4 contre l’Allemagne quelques semaines plus tard le sera. Ce seront les seules rencontres de l’équipe de Bohème-Moravie, le second suicide de l’Europe mettant fin à sa deuxième existence. En effet, la Tchécoslovaquie puis la République Tchèque prennent le relai, après la guerre.

La sélection aura évolué notamment au Stadion Slavii durant sa première existence, puis au Letna durant la deuxième phase. Sa plus large victoire, elle l’aura obtenue contre la France (4-1), en 1911. Et dans l’histoire, Jan Kosek et Emanuel Benda resteront joueurs les plus capés de la sélection, avec six apparitions chacune. Le premier sera même meilleur buteur de l’histoire, avec sept réalisations. Cet austro-hongrois, né le 18 juillet 1884, décédera le 30 décembre 1927, en ayant évolué au plus haut niveau seulement trois ans, de 1906 à 1907 avec le Slavia Prague, et de 1906 à 1908 avec la Bohême-Moravie. Vu comment l’histoire de la Bohême-Moravie est intimement liée avec la guerre et les désastres de l’Europe, il faut espérer que plus jamais cette sélection n’aura a disputer de match. Ou alors seulement dans un rôle d’exhibition.

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