Le football est un sport de gentlemans pratiqué par des voyous, veut le dicton. Certes, cette formule est critiquable. Mais il y a une distinction entre le jeu et l’esprit de ce dernier. Car bien souvent, le football se résume à un corps à un corps.

Corps cassés

Les corps sont cassés, les estomacs sont vides, les larmes sont amères et les têtes éreintées lorsque l’arbitre siffle la fin d’une partie de football. Car les joueurs ont pris, donné et encaissé des coups. Un match de football, ce n’est pas que la circulation du ballon, c’est aussi un duel physique. Un duel que certains pensent qu’il ne peut être gagné que par l’agglutination de corps grands, puissants. Mais ce n’est pas vrai. Car il y a aussi une part belle qui doit être faite au vice. C’est ce dernier qui rend les corps beau, qui donne la sensation du terrain. C’est un charmeur de serpent, une espèce de planche à roulette, un jeu charmant que le football. Il fait le sens lorsque l’avancée du temps signe. Mais l’avancée du temps est toujours là. L’autre est là.

L’autre, c’est celui qui brise les corps. Celui auquel on pense et où l’on veut donner envie de penser. Il a tout vu, il a tout vécu le football. Les corps sont tous seuls face au jeu. Tout le monde se demande où il faut en venir. Le plaisir c’est ça : faire vivre le football dans le combat des corps. Le corps de l’homme s’accomplit comme individu singulier, incomparable, in-substituable dès lors qu’il atteint sa fin. Un homme comme le footballeur s’accomplit, et s’arrache à ses déterminations spatiales. La singularité est le privilège de l’humanité. Et la singularité est présente dès lors que l’on se souvient de qui l’on a précédemment parlé. Pour parler clairement, hypostasier sur le passé le présent revient à se souvenir du passé.

Parti avec race

C’est une expérience de la vie contemplative qui va conduire à mettre le corps à l’écart. Plus encore, c’est l’expérience intellectuelle de la primauté de l’universel, comme celle des doigts inégaux : si une égalité sensible est douteuse, une égalité intellectuelle est certaine, c’est l’égal en soi comme il y a une justice en soi ou un bien en soi. C’est comme une retombée de cette expérience de la contemplation qu’est né le thème de la haine du corps. Lorsque l’on a goûté les grandes joies de l’esprit, on peut fouler aux pieds le lieu de perdition qu’est la vie ordinaire. Il n’est pas de mon parti de dire qu’il faut tenir les corps en dehors du football, mais plutôt que la douleur sonne lorsque le temps passe. Le corps a déjà la vie par essence.

La justice est ordre de l’âme et gratitude envers le corps. On peut être intempérant de deux manières. Soit par excès de désir, soit par défaut de désir. L’insensibilité est une forme d’injustice donc. Essentiel chez Rousseau, la morale se nourrit de la pitié : le bourreau est insensible. C’est pour cela que c’est important, su un terrain de football, d’allier la puissance physique et technique des corps.

Pour finir sur une citation d’Alain dans ses Idées qui résume bien la vérité des corps dans le football :

« La justice va plus loin encore que cet ordre de l’âme qui est un ordre des vertus. Elle va jusqu’à assumer la vie du corps. […] Sous la tempérance qui n’est que la règle négative et encore mépris du corps, il y a la vie en ses besoins qui toujours renaissent […] Reconnaître, recevoir en soi cela même, cet animal broutant, et lui permettre d’être au lieu de le réduire par un ascétisme sévère, n’est-ce pas justice à l’égard d’une partie de soi ? »

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« Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on le peut reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui ». (Jonathan Swift, 1667-1745)