Peut-on regarder décemment la Coupe du Monde 2022 qui se déroule en ce moment-même au Qatar ? La question agite bien des débats, depuis les intellectuels jusqu’aux moindres visionneurs de football. Au vu du succès des premières rencontres en termes d’audiences télévisuelles, elle pourrait paraître futile. Pourtant, plus que jamais, elle se situe au creux des réflexions sociales.

Flashback

Il n’est plus permis de penser que ce mondial 2022 est légitime. Il suffit de regarder les conditions dantesques d’attribution, les fantasques décisions en termes d’infrastructure et le drame humain derrière le mondial. Soit. Ceci est un fait bien établi, et partagé par l’ensemble des observateurs, de la FIFA jusqu’aux groupes du supporters. Pourtant, tout cela ne suffit pas à infirmer la Coupe du Monde en tant que telle. Car jamais, dans son histoire, la Coupe du Monde n’a été symbole de la justice et de la logique.

Il n’est pas permis de parler de mondial de la honte pour cette Coupe du Monde 2022 sans penser aux affres de 1934. Bien sûr, il n’y avait pas les catastrophes humaines en amont – en tout cas, elles n’avaient pas été relevées par la presse de l’époque. Mais sur le fond, le Campionato Mondiale di Calcio de 1934 est sans doute le plus horrible. La corruption ? 1934 en a été l’exemple même, de l’attribution jusqu’à l’arbitrage en passant par les tirages au sort. L’apologie d’un régime autoritaire ? La Coupe du Monde italienne de 1934 était bien pire. Elle faisait l’étalage du talent sportif de l’Italie fasciste, avec un Benito Mussolini plus qu’en arrière-plan. Et au niveau sportif, ce mondial n’était guère plus reluisant, avec un large contingent de joueurs naturalisés, oriundo, Luis Monti en tête.

Pour autant, cela suffit-il à légitimer la Coupe du Monde actuelle ? Bien sûr que non. Mais regarder en arrière remet en perspective la vision selon laquelle le mondial serait l’expression de la liberté sociale et de la justice humaine. Ce n’est pas vrai. La Coupe du Monde n’a jamais été autre chose que l’expression de pouvoirs toxiques s’affrontant.

Génuflexion

Mais alors, faut-il regarder ce mondial ? La réponse est complexe. On ne peut pas répondre non sans être hypocrite. Bien sûr, individuellement, il est possible de faire l’effort – si tant est que ce soit un effort – de ne pas regarder les matchs de la compétition. C’est même assez facile : l’ensemble de la littérature ou bien Netflix peuvent servir de distraction annexe. Mais on ne peut distinguer cela de l’impact social de la Coupe du Monde. Car la situation est bien différente dans un milieu bourgeois, étudiant ou ouvrier. Pire, l’analyse n’est pas la même selon qu’il s’agisse d’un loisir annexe que l’on peut se permettre de boycotter – snobber ! – ou que les matchs de football soient un fondement de la réflexion sociale et du sentiment d’appartenance à un groupe.

Il est en fait même hypocrite de dire que tout le monde doit faire blocus à ce mondial. Déjà parce qu’il est déjà attribué, mais qu’au vu du tollé, la FIFA ne se risquera sans doute pas tout de suite à une pareille aberration. Ensuite, parce qu’il y aura toujours des gens qui n’auront rien à faire des droits de l’Homme et de la planète. Et puis des masses, dont l’auteur de cet article fait sans doute partie, qui pensent en leur for intérieur que cette Coupe du Monde ne devrait pas avoir lieu, mais qui ne s’empêchent pas pour autant de regarder tout ou partie. Car il n’est pas toujours facile de faire et assumer des choix à contre-courant.

En fait, cette Coupe du Monde questionne notre lien social au football, et nous force à regarder ce lien au vu de nos interactions sociales. En fait, la manière dont chacun d’entre nous se positionne face à cette compétition donne beaucoup à voir de comment nous aimons le football.

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