Je m’appelle Desmond, comme Desmond Tutu. Je vis dans un township entre Johannesburg et Rustenburg. J’ai quinze ans, et ma vie alterne entre violence, drogue et football. Sans cesse. Je m’appelle Desmond, comme Desmond Tutu. Je n’ai pas mis les pieds à l’église depuis que j’ai l’âge de raison. J’ai quinze ans, et mes ambitions alternent entre me saouler jusqu’à ce que mort s’en suive et me faire tirer dessus par la police. Sans cesse.

Toile de fond

Qu’est-ce que ma vie pourrait être si j’étais blanc ? Sans doute quelque chose de beaucoup mieux. Je ne serais pas là, assis sur une butte dominant un terrain de football, une canette de bière éventée entre les mains. Mon bermuda ne serait pas troué, mon crâne ne serait pas rasé. Je n’aurais pas encore les yeux rouges de la veille. Je serais sans doute en train de jouer au rugby avec des gentlemen bien blancs comme moi. Au lieu de balbutier en anglais, je m’exprimerais sans aucun défaut en afrikaners ou en néerlandais. Ma mère m’attendrait à la sortie du théâtre, ma fiancée repartirais avec son chauffeur dans sa voiture. Noirs, tous les deux. Mais ma vie n’est pas celle d’un gosse de bourge, d’un gosse de riche, d’un gosse de blanc.

J’ai un pétard éteint entre les mains. Je tire dessus dans l’espoir de le rallumer, dans l’espoir d’en tirer encore un peu de goût, un peu de saveur, un peu d’étourdissement. Mes potes m’appellent, mais je fais semblant de ne pas les entendre. Je rêve, je suis perdu dans les airs, j’ai mon esprit qui vadrouille. Le terrain de football ne me suffit plus, j’ai besoin de plus pour rêver. Je sais pertinemment que je n’aurais jamais rien dans la vie, que je ne réussirai jamais rien. Au pire, je vais mourir lors de la prochaine émeute. Au mieux, j’aurai un gosse qui sera comme moi. Pauvre. Perdu. Abandonné. Qu’est-ce que je peux lui donner si ce n’est la haine de la vie ? Qu’est-ce que je peux offrir dans ce monde à un être vivant si ce n’est le malheur, la haine, la médiocrité ?

Pratique

Si Dieu me voyait dans l’état où je suis, il aurait honte de moi. Il aurait honte de ce que je suis, de ce que je veux être, et même de ce que j’ai été. Il n’a jamais été question pour moi de réussir quoi que ce soit. Je n’ai jamais jamais quitté l’école parce que je n’y suis pas allé. Jamais.0 Je n’ai jamais rien volé parce que je n’ai jamais appris ce qu’était le bien et le mal. Je me sers, c’est tout, et c’est encore mieux si quelqu’un souffre à la fin. Et je n’ai jamais osé aimer, parce que je sais que vais faire du mal. Physiquement. Mentalement. Violemment. Un coup de poing dans la tronche d’un mec parce que j’ai maté sa copine. Un coup de pied dans mon entrejambe parce que j’ai voulu toucher à une blanche, un coup de matraque dans ma tronche pour bien me faire comprendre ce qui m’est interdit. Une balle dans le crâne pour que je ne le refasse jamais.

J’ai trop de pilules dans ma main pour pouvoir les avaler d’un coup. Je ne sais pas comment j’ai fait, mais je suis sur le terrain, je fais semblant de toucher le ballon, je ne sais pas si je réussis à faire quoi que ce soit. Peut-être que je suis dans mes rêves, peut-être que je suis dans la réalité. Qui peut me le dire ? Ce n’est pas comme si j’avais un ami. Qui voudrait de moi comme ami, à part quelqu’un qui veut des pilules à pas cher ? Je ne veux pas d’amis, car cela pourrait me perdre. Je ne veux que des ennemis, car je ne porte que la haine en moi. La haine de tout. De l’échec, de la réussite, de l’amour, de l’amitié, de la violence, de la paix.

Dieu

Je m’appelle Desmond, mais ce n’est pas mon vrai nom. Je ne connais pas mon vrai nom. Peut-être que c’est Lebo, peut-être que c’est Simon, peut-être que c’est n’importe quoi. J’ai choisi ce nom parce que ça me donne l’impression d’avoir une raison d’exister sur terre. Comme si je pouvais dire au Diable que je suis l’alter-ego de quelqu’un qui œuvre pour le bien. Je ne suis sur cette planète immonde que pour faire le mal, que pour faire des choses étrange dès qu’il fait noir, pour voler dès que personne ne me regarde. J’ai honte de moi-même, mais quelle importance ? Qui me jugera ? Je sais déjà que j’irais en enfer le jour où la drogue ou la police me coucheront par terre. Et je ne regretterai rien. Jamais rien.

Je sens la mort arriver lentement, pourtant, le ballon est toujours entre mes pieds. Une vague de chaleur me monte dans la tête, un violent coup m’atteint à la tête. Je marque un but, et pourtant personne n’est là pour me fêter. La bave se colle à mes lèvres, j’ai l’impression d’être dans un bain d’eau chaude en haut et dans une baignoire glacée en bas. Je suis allongé par terre, et ça y est, la balle ne me colle plus aux pieds. Johannesburg. Nous nous sommes tant détesté. Les seules secondes de ma vie où j’ai aimé, c’est quand je jouais au football. Je te quitte entre deux seringues usagées, un ballon de foot comme oreiller. Tu ne me manqueras pas.

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« Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on le peut reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui ». (Jonathan Swift, 1667-1745)