Le football est sans doute le sport le plus beau et le plus violent qu’il soit, parce qu’il trouve son expression la plus pure et la plus ultime là où naît le crime, là où les morts ne peuvent pas se compter sur les doigts d’une main. Dans la Cité Merveilleuse, Rio de Janeiro, la violence est une raison d’être, le football le sens de la vie.

Tragédie nationale

Nous sommes à Rocinha, dans un des quartiers les plus violents de Rio de Janeiro. Là, les murs sont teints de rouge et de noir, aux couleurs du Flamengo et du Comando Vermelho. Tous les leaders historiques sont morts, sauf William da Silva Lima, l’écrivain, le professeur, l’homme au bracelet électronique. Le football, lui aussi, est dans un état cataclysmique. 7-1 contre l’Allemagne, l’humiliation ultime. Et puis les échecs, un par un, à regagner les lettres de noblesse du football d’avant. Où est le championnat que faisait rayonner Socrates de son talon magique ? Il n’y a plus rien qui tienne la route, ni le championnat, ni les approvisionnements de drogue. Seul le carnaval redonne un semblant de fierté à un pays à terre.

Et pourtant, c’est vraiment là que vit le football. Même s’il n’y a plus ce qui était splendide avant, même s’il n’y a plus la beauté absolue du football, la pureté magistrale de la cocaïne, il y a toujours les enceintes saturées qui hurlent autour du terrain. Il y a toujours le funk qui secoue les terrains, il y a toujours les hurlements des rappeurs carioca à la gloire du Comando Vermelho, à la gloire du TCP, des Amigos dos Amigos, il y a toujours les cris de la foule lorsqu’un petit-pont est passé. Et puis il y a toujours les flics, qui viennent tirer sur la foule sans raison. C’est ça, le football, le vrai football, la violence des balles de la police au même moment où le terrain se transforme en arène de football. La violence absolue du système carcéral se retrouve sur les terrains de football, dans un bal entre la vie et la mort.

Justice, Paix & Liberté

Rio de Janeiro pleure tous les soirs ses morts et chante la louange des génies. Les petits larcins se transforment en grand braquages. Les petites frappes des terrains de football sont transformées, au fur et à mesure des centres de formation, en joueurs formatés, moulés. Et puis il y a ceux qui refusent la dictature, ceux qui refusent la norme, et qui préfèrent les morts violentes aux morts inutiles. Car oui. La mort, c’est ce qui attend ceux qui se refusent d’obéir. Et alors ? Pourquoi vivre une longue vie humiliante, quand on peut avoir une vie courte mais trépidante ? Tout le monde peut changer d’option. Footballeur, braqueur, ou femme de ménage. Certains ont un honneur, d’autre une éthique. Dieu ferme les yeux pour mieux récolter les offrandes.

Un état de guerre, l’anarchie, la violence. Voilà ce que la Cité Merveilleuse offre à ses enfants trop audacieux. Elle peut aussi offrir la beauté, les plages, la mer, le plus beau stade du monde. Et c’est exactement là que vit le football brésilien. Dans un équilibre permanent, audacieux, unique, entre la vie et la mort, le football à Rio de Janeiro se vit différemment du reste de la planète football. Même dans les cellules des pénitenciers de haute sécurité, rien ne se fait vraiment par hasard. Peu importe si les leaders d’hier ne sont plus les leaders d’aujourd’hui, il y a toujours une valeur commune : le football. C’est là que Rio de Janeiro prend tout son sens : toute violence n’est que la suite logique d’une paix trop longue.

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« Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on le peut reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui ». (Jonathan Swift, 1667-1745)