Cher Père Noël, les humains m’ont appris que tu exauçais parfois les vœux les plus chers des enfants. Comme je n’ai même pas encore soufflé mon troisième siècle, sur les trois cent mille ans de l’homo sapiens, je me suis dit que j’allais tenter ma chance.

Que le « Covidball » s’évanouisse

Quand les humains ont déserté mes enceintes en mars, je l’ai d’abord pris personnellement. « Tiens, ils sont tous partis chez mon cousin le rugby, j’ai dû faire quelque chose de mal », me suis-je dit. Finalement, le soulagement de savoir que ce n’était que temporaire, dû à une maladie bizarre, et qu’ils comptaient revenir à moi au plus vite, s’est vite mélangé au sentiment de tristesse en apprenant la durée (indéfinie) de cette manière de me pratiquer.

J’ai certes vu les protagonistes revenir, du moins la plupart, mais je ne suis plus le même. Mon ambiance est froide et feutrée, les joueurs arrivent masqués, la joie que je procure semble plafonnée et ma dimension populaire inexistante. À travers les postes de télévision, je sens des regards plus évasifs sur ma personne, comme si je n’étais plus essentiel. Surtout, le public me manque. Et à en juger mon oreille indiscrète lors des assemblées générales des clubs, je ne suis pas le seul.

Si j’ignore les considérations et délais humains nécessaires avant de retrouver ma ferveur d’antan, je suis sûr d’une chose : je ne puis demeurer dans cet état très longtemps. En fait, mon plus grand souhait serait de ne pas avoir à réitérer ce vœu dans ma liste de l’année prochaine.

Que l’arbitrage vidéo déguerpisse

L’an prochain marquera la borne des cinq ans de l’utilisation de l’arbitrage vidéo. Cinq ans que des prétendus amoureux du ballon tentent sur ma personne toutes sortes d’expérimentations visant à me surveiller, m’ausculter, me mesurer au millimètre près, limiter mon essence, contenir mes pulsions et pervertir mes valeurs. Comme une bête en cage, j’essaie de me rappeler à leur bon souvenir, de leur remémorer ma magie. Par ici, une égalisation légendaire. Manque de chance, l’avant-dernier passeur chaussait du 44 et se trouve de fait hors-jeu. Par-là, un arrêt magnifique sur penalty. Mais voilà qu’un joueur – pardonnez son enthousiasme – se trouvait légèrement dans la surface au départ du ballon. Et partout, mes fidèles ne sachant plus quoi penser. Exulter ? Non, attendons de voir ce que dit l’homme au sifflet. Rien ? Attendons tout de même l’avis du camion. Toujours rien ? C’est un peu tard. Un sifflet vaut-il le coup de l’ivresse ?

Pire, l’objectif originel de cette « VAR », comme ils l’appellent, n’est pas rempli. Je ne suis pas beaucoup plus juste depuis que je suis surveillé. En quelque sorte, je souffre du syndrome de la crotte de nez : à me décortiquer sous tous les angles, je ne peux plus rien faire sans que l’on me trouve une faute. Et mes fidèles, de leur côté, n’ont toujours pas trouvé la paix. Ils n’en ont jamais été aussi loin, d’ailleurs. Mes penalties, cartons rouges et autres faits sujets à interprétation font toujours autant débat. Tandis que mes aspects binaires, comme le hors-jeu, sont ridiculement appliqués à la lettre en dépit de l’esprit de la loi. En effet, les hommes s’écharpent toujours sur mes faits de jeu, et c’est un peu ce qui fait mon charme, non ? À condition qu’il y ait des émotions en premier lieu, peut-être.

Que les pantins redeviennent artistes

En fin d’année, j’ai perdu mon plus grand artiste. Diego Armando Maradona est décédé alors que certains étaient encore, vingt-trois ans après sa retraite, plongés dans son œuvre. Alors que cette œuvre était toujours ancrée en moi, tout simplement. Lorsqu’il a repris le devant de la scène, tragiquement et pour une dernière fois, beaucoup dont moi-même ont redécouvert, en retraçant son parcours, à quel point il était plus qu’un footballeur. À quel point sa personnalité, mais aussi sa génération, contrastaient avec les pantins d’aujourd’hui. Pourtant, les actuels footballeurs ne sont pas dénués de conscience, de pensées. C’est leur « conscience » professionnelle qui leur intime juste l’ordre de jouer et de la fermer, par peur de faire fuir les publicitaires.

On me traite souvent comme un art. Or, il me semble justement que les artistes expriment ce qu’ils pensent. Les footballeurs ne le font plus. J’aimerais justement qu’ils prennent en relief, que mes stars soient moins fades, que les idées s’expriment dans la bienveillance des joueurs professionnels, des joueurs du dimanche, des spectateurs et des non-initiés. Ça ne plairait pas à tout le monde, c’est certain. Mais comme on aime à me qualifier de reflet de la société, je suis sûr que chacun y trouverait son compte.

Je n’ai pas beaucoup d’espoir pour celle-là. Ni pour tant d’autres que j’aurais pu mentionner malgré cette période de fêtes (si tu pouvais faire quelque chose contre les criminels – violeurs, pédophiles, assassins, chanteurs – qui peuplent les instances tentant de me gouverner…). On m’a dit à ce propos que je « croyais au Père Noël ». Ne connaissant cette expression, j’attends de voir les actes de mes fidèles pour savoir s’il s’agit bien d’une naïve utopie.

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"Le joueur de football est l'interprète privilégié des rêves et sentiments de milliers de personnes." César Luis Menotti.