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Parmi les questions « science-fiction » parfois soulevées par les amateurs de football figurent souvent celle-ci. La science du dribble de Garrincha et la créativité de Hidegkuti pourraient-elles s’exprimer aussi bien dans le football moderne ? La réponse – peut-être décevante – est probablement négative.

Sciences disparues

Nos deux génies seraient sûrement de très bons joueurs de football car le toucher de balle est universel et car on peut prévoir une adaptation de leur part, mais pas d’aussi grands joueurs qu’ils ne l’ont été. Ce n’est pas moins une question de style de jeu que d’amélioration du niveau global. La simple et bonne raison est que les joueurs ne disposent aujourd’hui plus de quatre ou cinq secondes pour accélérer, se positionner, attirer, penser avant d’agir. En effet, cela ne vous aura pas échappé, la tendance actuelle est au pressing. Et même les équipes dont on dit qu’elles ne pressent pas restent moins permissives que celles de l’époque.

Est-ce mieux ? Est-ce moins bien ? À vous d’en juger. Toujours est-il que ce style de joueurs sont perdus pour notre football (au profit d’autres styles qui n’auraient pas pu voir le jour auparavant). Plus personne ne peut dribbler comme Garrincha aujourd’hui. Non pas parce que le talent a été totalement perdu – bien qu’il soit dans ce cas ce qui se fait de mieux – mais parce que les normes actuelles ne le permettent plus. Dans le football moderne, l’espace et le temps sont davantage compressés durant les 90 minutes et dans les quelques 100 mètres qui délimitent le jeu. Mais à qui doit-on cette formule ?

Pressing, hockey

Thomas Patrick Gorman est un journaliste sportif devenu entraîneur de hockey sur glace. En 1934, il théorise le pressing, rien que ça. Quand tout le monde se précipitait vers son but pour le couvrir, Gorman s’est imaginé faire l’inverse. Que se passerait-il si les joueurs déferlaient sur le porteur de balle pour protéger leur but ? Cela laisserait moins de temps au porteur pour exécuter sa passe ou son dribble tout en court-circuitant le replacement adverse à la perte. Mais le moindre chaînon manquant ou défaillant sèmerait le trouble. Cela semblait suicidaire. Et pourtant, bien qu’il ait fallu un long temps d’adaptation à ses joueurs, cette tactique a fonctionné. Ils ont en effet remporté le championnat.

Ses attaquants se ruaient agressivement sur la possession adverse, rétrécissaient l’espace et coupaient les lignes de passes. Un vocabulaire qui est, un peu moins d’un siècle plus tard, sur les lèvres de tous les entraîneurs de football. Pourtant, son implémentation au football semblait impossible. Les joueurs sont deux fois plus nombreux, la surface jouable est presque trois fois plus étendue. Il semble y avoir trop d’espace à combler, trop de joueurs à presser, trop d’options à couvrir. Le Total Football de Rinus Michels semble alors très loin. Acte II, scène première, entre Viktor Maslov.

Viktor Maslov, pionnier méconnu

L’adaptation au ballon rond du pressing qui régit tout le football moderne nous vient d’Ukraine, et plus particulièrement du cerveau du Russe Viktor Maslov. Né en 1910 à Moscou, Maslov est un grand joueur et entraîneur du Torpedo, menant le club trois fois à la seconde place du championnat (dont une en tant que joueur) et à son premier titre du championnat soviétique en 1960 (en tant que coach). D’abord pas vraiment un grand tacticien, il est plus reconnu pour son humanité, sa gestion de groupe et sa bienveillance que pour ses notions tactiques.

« Il gérait ses relations avec les joueurs de telle manière, et était si sincère avec nous, qu’il était impossible de ne pas l’aimer. Il nous faisait confiance et nous lui rendions de la même manière. » Andriy Biba, capitaine du Dynamo Kiev de Viktor Maslov, in Inverting the Pyramid de Jonathan Wilson.

L’anecdote qui illustre le mieux cette qualité est sans doute la suivante. Un jour qu’il appelle un remplaçant pour procéder ordinairement à un changement, le capitaine du Torpedo, au nom de l’équipe après concertation, refuse le changement et renvoie le remplaçant sur le banc alors que celui-ci avait reçu l’aval de l’arbitre pour entrer en jeu. Stupéfait, il se tourne alors vers Maslov, qui se contente de hausser les épaules. Arkady Galinsky, le journaliste conteur de cet épisode, ne présente pas ce fait comme un aveu de faiblesse de Maslov. Au contraire, il avait compris que ses joueurs avaient rejeté le changement non pas pour saper son autorité, mais pour signifier que le match était sous contrôle malgré les apparences. Cette situation s’est produite deux fois, l’une au Torpedo, l’une au Dynamo. Dans les deux cas, l’équipe de Maslov s’est imposée.

Maslov et sa meute

Mais les idées tactiques de Maslov, et par conséquent l’avènement du pressing, ne se libèrent qu’après son arrivée au Dynamo. Sa science de la consultation et de la concertation de ses joueurs, comme nous venons de le voir, lui octroie la confiance nécessaire pour innover. Non content d’implémenter le pressing, il commence par inventer le 4-4-2. Inspiré et conscient de l’efficacité du 4-2-4 brésilien où un des ailiers décroche pour créer, Maslov décide d’aller plus loin et recule ses deux ailiers, formant ainsi un 4-4-2.

Inspiré du basketball cette fois, son passage au marquage en zone n’est pas une révolution puisque déjà populaire au Brésil. Cependant, convaincre avec ce système en URSS, après l’échec du Mondial 1966, relève de l’exploit. L’avantage principal du marquage en zone pour Maslov est de pouvoir libérer ses milieux créateurs de quelques tâches défensives. Une bonne organisation est alors primordiale, dans tous les compartiments du jeu, pour apporter la supériorité numérique. Et c’est là qu’entrent en jeu les qualités humaines de Maslov qui lui ont déjà permis d’avoir ses joueurs dans la poche.

Tambour battant

Toutes les conditions sont donc réunies pour créer le pressing footballistique, même si ce n’était pas une fin en soi lors de l’élaboration de sa tactique. Sur une suggestion et un constat de son milieu sentinelle, Maslov indique au reste de son milieu de rester en mouvement et de chasser en meute le porteur de balle dans une sorte de prototype du Total Football. À l’époque, limiter l’espace de l’adversaire pour une récupération haute du ballon avait tout de révolutionnaire.

Un accent tout particulier mis sur la préparation physique et une organisation ardemment travaillée plus tard, les résultats parlent d’eux-mêmes. Le Dynamo était neuvième en 1963, avant que Maslov n’arrive. Après sa prise en charge, le club passe sixième, puis trois fois champions. Surtout, les statistiques défensives sont sans appel. D’une moyenne de 1.06 but encaissé par match sur les trois saisons qui précèdent sa prise de fonction, le Dynamo passe à une moyenne de 0.62 sur les cinq suivantes.

Comme souvent, la victoire convainc. Le marquage en zone n’est plus contesté en URSS et le pressing va pouvoir s’étendre jusqu’aux proportions que l’on connait aujourd’hui. Préparations physiques intensives, un accent mis sur la nutrition, 4-4-2, permutations, marquage en zone, pressing mais aussi une capacité d’adaptation comme rarement à l’adversaire : Viktor Maslov, pourtant méconnu, s’avère être un pionnier influent du football moderne.

« Le football est comme un avion. Plus la vitesse augmente, plus la résistance de l’air est forte, et plus vous devez rendre l’engin aérodynamique. » Viktor Maslov, in Inverting the Pyramid de Jonathan Wilson.

 

Par MatthiasT, le 12/09/2019.

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