Le gardien n’a de sa vie entière qu’une seule obsession. Arrêter sans que cela ne cesse. Empêcher, les uns après les autres, les buts d’être marqués. Détruire ce que les autres se sont acharnés à créer. Il n’a que ça en tête. Et sa récompense, bien souvent, rime avec mépris et détestation. Car il concentre la haine collective des supporters. Mais son plus bel accomplissement, à ce gardien détesté ou adoré, c’est d’arrêter un penalty.

Envers et contre tous

Le gardien est et n’est pas un joueur comme les autres. Tout commence identiquement, avec les crampons, les protège-tibias. Et puis tout se complique dès que l’on remonte un petit peu. Dès les chaussettes, la tenue est différente. Le short se mue même parfois en pantalon. Et le maillot, à manches bien souvent longues et matelassées, est l’uniforme de cet homme à part. Uniforme unique, face à dix autres identiques. Et les gants, ultime personnalisation. Dans les vestiaires, il a une place anonyme, mais dès le tunnel des vestiaires, il se distingue, en rentrant en deuxième position, toujours, juste après le capitaine, quand il ne l’est pas lui-même. Comme une autre manière de se distinguer.

Son échauffement, lui aussi, est unique, différent, bizarre. Il sort le premier des vestiaires, avec un autre gardien et son entraîneur. Il bouge dans sa cage, tout seul, sous les sifflets adverses, et pendant de longues minutes, reste le seul joueur de son équipe sur le terrain. L’arbitre, lui aussi, rend bien au gardien son unicité. Au début de chaque période, ne vérifie-t-il pas la présence et l’attention du portier par un signe de main ?

Mais en même temps, ce joueur si unique est le seul indispensable. Le seul dont la présence soit toujours requise, que l’on aime ce poste ou qu’on le déteste. S’il se blesse, le jeu ne peut reprendre sans lui, et il ne sort pas du terrain. Expulsé, un autre doit prendre sa place. Le gardien, bien au delà de sa simple tache d’arrêter les frappes adverses, représente une unicité, une proximité avec les supporters situés tout près de lui.

Ricardo, sans les gants, va arrêter ce penalty
Ricardo, sans les gants, va arrêter ce penalty

Arrêter le temps

Soudain, un penalty est sifflé. Et face à cette boule de haine et de mise à l’écart, le gardien à l’occasion de prendre sa revanche. On ne lui en voudra jamais de l’encaisser, c’est chose logique. Par contre, s’il l’arrête, alors là, il peut devenir un véritable héros, un homme unique à mettre à part. Cela vaut un but, mieux, cela vaut plus qu’un but, puisque cela en annule un de l’adversaire.

Arrêter, arrêter. Les mots résonnent comme des gongs dans la tête du gardien. Arrêter, arrêter. Le souffle se fait court. Arrêter, arrêter. La respiration se ralentit peu à peu pour laisser place à la concentration. Arrêter, arrêter. Surtout, regarder l’attaquant, le fixer droit dans les yeux, le forcer à penser à autre chose. Arrêter, arrêter. Stop. L’arbitre a sifflé.

Il a une, deux, trois secondes pour prendre sa décision. Droite, gauche, le centre. Ou bien il l’a déjà prise, sa décision, quelle que soit celle de l’attaquant. Se détendre, fort, puissamment, pour augmenter sa surface corporelle dans une ultime prière. Un moment dans les airs, pour attendre le moment ultime pour retomber au sol. Le ballon arrive. Le contact est court, mais suffisant. Les supporters retiennent tous leur souffle. Le ballon sort du terrain. Dans la tête du gardien, la scène est indescriptible. La joie, l’adrénaline, la colère, la rage de vaincre. Le gardien a pris sa revanche sur tous ses ennemis.

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« Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on le peut reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui ». (Jonathan Swift, 1667-1745)