En ces périodes de troubles, où les intérêts collectifs sont bien souvent mis au ban face à l’intérêt individuel, et où chacun cherche sa chapelle où elle ne s’y trouve pas forcément, les plus hauts revenus sont régulièrement vilipendés. Les plus hautes fortunes sont critiquées sans relâche, et chacune de leurs actions est scrutée pour être décortiquée et écartelée sur place publique. Les footballeurs, en tout cas ceux que l’on nomme dans le langage courant ainsi, font partie des plus riches. Mais le footballeur est-il l’ennemi du peuple ?

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Si les plus hauts salaires sont critiqués, remis en question et agonis d’injures, c’est avant tout par une forme basique et simple de jalousie. Comparer le nombre de minutes ou de secondes qu’il faut à un ultra-riche pour gagner notre salaire annuel, ce n’est ni plus ni moins qu’autre chose que du voyeurisme. Que de se dire : pourquoi gagne-t-il autant, qu’a-t-il de plus que de moi ? Réponse : bien souvent, l’héritage. La suppression de l’héritage pourrait être le moyen de mettre à mal cela – tout en conservant des écarts flagrants entre les différentes couches de la population, puisque l’héritage n’est pas que financier mais aussi intellectuel – mais ce sont bien souvent les plus pauvres qui viennent, corps et ongles, défendre l’héritage. Soit. Là n’est pas le débat, et de toute façon la société française n’est pas prête à abandonner son enfant le plus cher.

Car le footballeur fait, dans la quasi-intégralité des cas, exception à cette règle. Il est devenu riche sans dépendre d’aucun héritage, si ce n’est l’héritage génétique et, en partie, l’absence d’éducation dispensée par les parents. Absence d’éducation qui l’a laissé se débrouiller seul sur les terrains bitumés pour occuper ses longues après-midis d’été. Ce qui fait donc que la jalousie est beaucoup moins prégnante envers les ultra-riches que représentent les footballeurs, que vis-à-vis des ultra-riches ayant battis leur fortune sur d’autres types de revenus. Le prisme s’inverse cependant à mesure que l’on s’élève dans les milieux sociaux. C’est une forme d’amusement que l’on peut avoir. Car lorsque vous commencez à gagner quelques milliers d’euros par mois en plus du SMIC, vous vous étonnez de voir ces gens non éduqués que sont les footballeurs gagner votre salaire ou même plus.

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Ainsi, l’élévation dans les milieux sociaux permet la naissance d’une certaine haine du footballeur. Les plus pauvres ne se plaignent pas des footballeurs professionnels et de l’indécence de leurs salaires, car ils sont issus de la même extraction. On en arrive donc à une conclusion assez triste mais pourtant très vérifiable. La jalousie du salaire s’applique sur celui dont on ne comprend pas les origines. De la même manière, d’ailleurs, que s’est articulée la haine des intellectuels laïcs tout durant l’Europe pré-XVIIème siècle.

Mais cette jalousie est d’autant plus violente lorsqu’il y a une incompréhension des mécanismes économiques basiques liés à la distribution des salaires. Les ultra-riches voient leur fortune grossir, et les plus pauvres ont du mal à comprendre pourquoi le leur diminue. Le décile supérieur ne voit pas son revenu éclater, mais il sait pourquoi. Il n’y a pas de jalousie à partir du moment où l’on possède des explications.

Finalement, le footballeur n’est pas l’ennemi du peuple puisque c’est à travers sa personne que beaucoup arrivent à comprendre comment la hiérarchisation des salaires s’opère. Non, un footballeur international français n’est pas cent fois meilleur qu’un international capverdien, mais son salaire s’échelonne de manière exponentielle parce que c’est comme cela que fonctionne l’économie. L’écart entre deux salaires, à niveau de carrière égal, est exponentiel entre deux niveaux de compétence équivalents. Monter dans la hiérarchie sociale, c’est monter encore plus vite l’échelle des salaires. Et en cela, le footballeur est l’ami du peuple. Car c’est par lui seul que beaucoup voient l’ascension sociale.

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« Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on le peut reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui ». (Jonathan Swift, 1667-1745)