Du haut de son mètre soixante-huit, l’attaquant de l’Atletico Tucuman Luis Rodriguez, club de première division situé au nord de l’Argentine et doyen des clubs gauchos, vient de rentrer avec cent-vingt buts dans l’histoire du club en devenant le meilleur buteur de l’histoire du club. Un record jusque-là détenu par Juan Francisco « Killa » Castro et ses cent-dix-neuf buts dans les années 1970. Entre attachement à l’Atletico, parcours chaotique avant de connaître la gloire, consécration avec la sélection nationale et proximité avec son peuple, focus sur un joueur atypique mais fabuleusement attachant du football argentin.

Né à Tucuman

L’histoire débute le 1er janvier 1985 à San Miguel de Tucuman. Le petit Luis vient de voir le jour et il est issu d’une fratrie de neufs enfants. Alors bien évidemment, comme tout Argentin, cela ne va guère vous surprendre lorsque vous lirez que la marmite du football, il y est tombé dedans étant petit. D’une part, car le football fait partie de la culture locale en Argentine. Et d’autre part, grâce à son frère Walter, ancien joueur de football professionnel et notamment à l’Atletico Tucuman dans un passé pas si lointain.

Issu d’une famille pauvre, dont le papa est maçon et la maman mère au foyer, pouvoir jouer au ballon ne fut pour lui une chose aisée. D’ailleurs, il dut utiliser la seule paires de crampons encore présente au domicile, la faute au manque d’argent. Luis Rodriguez fait son apprentissage du football à l’Union Simoca, le club de sa ville. Très tôt, ses entraîneurs vont déceler en lui des qualités, qui avec du travail, pourraient lui permettre d’être un joueur de bon niveau.

Au cours d’un match que disputait l’Union Simoca face à l’équipe d’Azucarera, Luis Rodriguez se distinguera en marquant douze buts lors du même match. Une jolie moyenne d’un but toutes les sept minutes et demi ! Une performance remarquable qui lui valut de se faire un nom dans la province de Tucuman. Et ce notamment en faisant la une des journaux locaux. Cela attisera la curiosité de deux hommes : Hugo Juarez et José Ismail.

Coup de pouce

Ces derniers faisaient partie d’une filiale de l’Inter Milan sur le sol argentin dénommée ORI.  Luis rejoint la filiale l’année de ses quatorze ans, et fait ses preuves avec cette dernière.. Il bat notamment une équipe de jeunes Nerazzuri lors d’un match amical. Logiquement, Luis Rodriguez prend la direction de l’Europe deux ans plus tard avec trois de ses compatriotes pour un essai à l’Inter de Milan.

Javier Zanetti, alors latéral droit du club Lombard, sachant la présence des petits argentins au centre, décide de les inviter à son domicile afin de partager un moment convivial avec eux. Ils en repartent avec des étoiles plein les yeux. Les jeunes garçons sont impressionnés devant la collection de maillots de Zanetti. La suite de l’aventure fut par contre moins belle. Et ce qui était censé être un véritable conte de fée est vite devenu un mauvais cauchemar. Luis et tous ses amis rentrent à la maison sans signer le moindre contrat avec le club italien.

En 2003, au cours d’un tournoi international aux îles Canaries disputé  avec ORI, c’est dans l’oeil du Real Madrid qu’il tape cette fois ci. Les recruteurs merengues étant tous unanimes pour reconnaître les qualités du petit attaquant, ces derniers virent d’un bon oeil une incorporation de Luis Rodriguez dans la cantera. Et ce d’autant plus que collectivement, ils réussissent l’exploit de sortir le FC Barcelone. Luis est même élu meilleur joueur du tournoi. Mais l’histoire se répétera encore une fois à cause du même protagoniste : José Ismail. À la différence qu’au lieu de rentrer au pays, ils prendront la direction de la Roumanie pour ce qui allait être et reste encore  le pire moment de sa vie footballistique.

Le cauchemar

Après avoir effectué un essai concluant dans un grand club du pays, le voilà encore mit à la porte pour une raison obscure. Et il restera bloqué dans une gare de Budapest pendant plusieurs jours sans rien à manger et sans le sou. Cauchemardesque pour Luis Rodriguez. Heureusement, des expatriés argentins récoltent des fonds et lui permettent de revenir à la maison.

Une fois rentré à Simoca, la première chose qu’il dira à ses parents, est qu’il ne veut plus entendre parler du football. Et encore moins de José Ismail Luis Rordiguez est vraiment sous le choc de la mésaventure européenne. Malheureusement pour lui, ses parents ayant signé une procuration à ce dernier, une clause stipulait qu’il ne lui était pas permit de se désengager de ORI. Mais cela lui permettra toutefois de ne pas couper avec le sport.

À son retour au pays, il ira aussi le plus naturellement du monde sur les chantiers de maçonnerie avec son père en tant que manœuvre. Car avec neuf enfants à charge, et le peu de travail dans la petite ville de Simoca, inutile de vous dire que le papa avait besoin de rentrer dans ses frais.

Les mois passent. Et ce que la famille rentre comme revenus n’était pas suffisant. Luis commence à disputer des tournois de quartier, gagnant jusqu’à 70 pesos par week-end. Il avouera volontiers que ce n’est pas la chose la plus intelligente qu’il ait faite. Car tout autour du terrain, le grillage était recouvert de barbelés. Et celui qui longeait la ligne avait plus de chances de se retrouver dans ces derniers plutôt que poursuivre son action balle au pied.

Potreros

Luis Miguel se souvient aussi d’une violence dans l’engagement lors des duels et de la stupidité des adversaires, ne rechignant pas à le découper s’il avait eu la bonne idée de les éviter sur le duel précédent. Il fera son retour dans le football de compétition grâce à son frère Walter. Ce dernier s’étant débrouillé pour obtenir la « libération » de son petit frère des mains d’ORI, c’est au sein du club de Belgrano de Córdoba, en troisième division d’Argentine, que Luis évoluera lors de la saison 2003-2004.

Le petit attaquant pour sa première saison marquera les esprits, car il disputera quatorze matchs en compétition officielle et il y inscrira six buts, apportant sa pierre à l’édifice pour le titre de champion de la division. Sa deuxième saison sera moins prolifique en terme de ratio matchs-buts, mais tout de même réussie. Car à l’échelon supérieur il disputera tout de même vingt-cinq rencontres officielles et il y marquera neuf buts.

Pour un jeune de dix-neuf ans, il est juste d’admettre que ce sont des débuts très prometteur. Qui plus est dans l’antichambre de l’élite du pays. Luis Rodriguez eut l’opportunité à l’orée de la saison 2005-2006 de s’engager avec l’Atletico Tucumán. Une opportunité qu’il saisit sans hésiter. Et ce, même si le challenge sportif fut moins avantageux. Car à cette époque-ci, l’Atletico Tucumán évolue en troisième division.

Mais « Pulga » étant une personne qui accorde beaucoup d’importance à la famille, il voit ce transfert d’un bon œil. Car cela lui permet de se retrouver parmi les siens. Simoca étant en effet situé à une cinquantaine de kilomètres au nord de Tucumán. Pour son retour aux sources, c’est dans son village natal qu’il choisit de résider au quotidien.

Anonymat

Et un jour, un journaliste lui pose une question afin d’en savoir plus sur ce choix de vie. Et Luis Rodriguez lui répond que ce choix était dicté par la proximité avec sa famille. Mais aussi par le calme qu’il pouvait trouver à Simoc. Et par l’anonymat enfin. Car là, il n’est au final qu’une personne parmi dix-mille autres. En effet, tout le village l’a vu grandir. Loin du tumulte de la capitale de la province, cela permet à Luis Rodriguez de sortir et de se promener sans difficultés. Une sorte de Rat Luciano version Argentin, qui pour être bien à besoin d’être proche des siens.

À la fin de la saison 2008-2009, il sera sacré champion de la B Nacional, après l’avoir été un an auparavant en troisième division. Il sera l’artisan majeur de l’accession en Primera Division un an plus tard, en inscrivant la bagatelle de vingt buts lors de la saison. Le bonheur est immense. Mais il ne pensait pas qu’en septembre 2009 un coup de fil allait lui offrir la plus belle joie qu’un footballeur puisse avoir : représenter son pays.

Lorsque la rumeur d’une convocation fut répandu, Luis préféra ne pas y prêter attention. N’ayant pas eu d’écho, il déclarera à un journal local qui l’interrogeait sur la véracité de cette dernière que « ce serait merveilleux pour sa famille, sa ville ainsi que pour la Province de Tucumán ». Rajoutant que si par bonheur le journaliste venu l’interroger lui annonçait une bonne nouvelle, il n’hésiterai pas à se jeter volontiers du septi_me étage, de manière à savoir s’il n’est pas en train de rêver.

Merci Diego

Au final, grand bien lui en a prit de ne pas mettre fin à ses jours, car le rêve allait devenir réalité. Diego Maradona, alors sélectionneur de l’Albiceleste, fit appel à lui pour un match amical face au Ghana qui se déroula le 1er octobre 2009 au stade de Córdoba. Un match avec une formation composée uniquement de joueurs locaux. Lorsque la presse questionna le sélectionneur sur ses motivations à convoquer Luis, il déclara que le petit avait beaucoup de similitudes avec lui. Et ce notamment sur sa malice, ainsi que de par son jeu, fait d’une grande habilité technique ainsi qu’une certaine aisance face aux buts.

Et comme le veut l’adage qui dit qu’un bonheur n’arrive jamais seul, il aura en prime le privilège de connaître ses premières minutes sous le maillot Argentin. Il remplaça à cinquante-septième minute Gabriel Hauche, n’hésitant pas à se montrer disponible par des déplacements latéraux ou dans les intervalles dans le but de créer des réseaux de passes. En étant aussi généreux dans l’effort, en répétant les courses sur son côté droit afin de percuter balle au pied, et dans le but d’éliminer son vis à vis pour créer du danger dans la zone défensive du Ghana L’Argentine s’imposera deux buts à zéro grâce à un doublé de Martin Palermo, joueur emblématique de Boca Juniors et la prestation de Luis sera qualifié de réussie.

Grande étape

En ce début de saison 2010-2011, Luis est convaincu de commencer la saison à l’Atletico Tucuman. Mais une offre de prêt avec option d’achat des Newells old Boys viendra contrecarrer ses plans. Et son président acceptera de le laisser filer. C’est donc du côté de l’Estadio Marcelo Bielsa qu’il évoluera pour la saison à venir. Il disputera quatorze matchs de Primera division, y marquant trois buts, dont un bijou contre Boca exécuté depuis l’extérieur de la surface suite à un cafouillage.

Luis caressera le cuir de l’intérieur du pied droit tout en finesse pour l’enrouler dans la lucarne du gardien Xeineze. Il prendra aussi part à quatre matchs de Copa Sudamericana également. Nous sommes alors à trois mois du terme de la saison, et Roberto Sensini, entraîneur du club Rojinegro, vient trouver Luis à la sortie d’un entraînement pour lui indiquer que le club ne peut se permettre de payer l’option d’achat demandé par l’Atletico Tucuman. Mais il lui laissera tout de même le choix de continuer l’aventure ou non en prêt pour une saison supplémentaire.

Il n’en sera rien et Luis Rodriguez retournera donc à la case départ en juin 2011 d’autant plus que le club est retombé en Primera B Nacional. De la date de son retour à aujourd’hui, Luis aura tout connu avec son club de cœur. Primera B, Nacional, Primera division, Copa Sudamericana ainsi que la Copa Libertadores. Il finira meilleur buteur lors de l’exercice 2013-2014 et il sera également un grand artisan de la remontée du « Decaño » dans l’élite lors de la saison 2014-2015 en y enfilant dix-sept buts.

Une légende

Le 17 avril 2016, lors d’un match face à Defensa y Justicia à domicile, il connaît un moment qui sans doute, restera à jamais gravé en lui. Nous jouons la quarante-septième minute de la première période et l’Atletico vient d’obtenir un penalty. Luis s’empare du ballon, le place, s’élance et prend à contre pied le portier adverse. Il se dirige vers le groupe de supporters local pour célébrer avec eux. Sauf qu’aujourd’hui, ce n’est pas un but comme un autre, ni un match où victoire comme défaite se terminera avec la même saveur qu’un autre.

Non, aujourd’hui il vient de marquer son centième but pour l’Atletico Tucuman et rentre ainsi encore un peu plus dans l’histoire. Et pour lui rendre hommage, ce sont cent ballons qui descendent des gradins du stade José Fierro pour atterrir sur la pelouse. Un histoire magnifique, inoubliable pour la Pulga, qui a sûrement dû se remémorer en rentrant chez lui les galères vécues dans le passé. Et comme le destin est juste pour ce fidèle joueur, c’est en ce 17 février 2018 que ladite lumière a fini par éblouir le club de l’Atletico Tucuman, la petite ville de Simoca ainsi que la famille Rodriguez.

Car ce jour là il est tout simplement devenu le meilleur buteur du club de tout les temps. Luis Rodriguez est rentré dans la légende pour toujours. Certes, il est vrai que pour beaucoup, cela ne veut rien dire car en Europe il n’a pas l’aura qu’il a dans son pays. Et qu’à l’heure actuelle le footballeur brille plus par son look, par les voitures qu’il exhibe, ou bien par la publicité que les médias lui font. Peu lui importe. Car tout ce superficiel, son peuple n’en a cure. « Dans la vie, les gens oublieront ce que tu leur a dit, ils oublieront aussi ce que tu leur a fait, mais jamais ils n’oublieront ce que tu leur a fait ressentir ».

Auteur : Jean-Baptiste Esquer