Faisons un saut dans le temps ; de 21 ans plus précisément. Vingt-et-une années nous séparent de la cruelle – mais légendaire – finale qui opposa le Real de Di Stefano au Stade de Reims de Raymond Kopa. Une nouvelle fois, ce papier contera l’histoire d’une désillusion à la française ; une belle histoire, une « épopée » disons-nous aujourd’hui, celle des Verts. Admise de manière récurrente comme l’une des meilleures équipes françaises qui ait pu exister, l’Association Sportive de Saint-Etienne n’a rien à envier au Stade de Reims dont nous parlions lors du premier épisode.

Elle aussi a son lot de joueurs mythiques, ceux qui bâtirent le football de leurs pieds, de leurs mains. Ce Saint-Etienne-là, c’est n’est pas encore celui de Romain Hamouma ou de Stéphane Ruffier ni même encore celui de Michel Platini, mais celui des frères Revelli, de Jean-Michel Larqué, de Jacques Santini. Ces joueurs qui ont l’occasion, un soir de mai 1976, de remporter la première coupe d’Europe française et de tirer un trait sur le lourd et cruel passé des rémois, finalistes et perdants à deux reprises.

Ces joueurs qui ont l’occasion de marquer l’histoire de football français et d’être à jamais les premiers.

L’Histoire, ils la marqueront, davantage même que le Stade de Reims dont l’épopée a malheureusement pu sombrer dans l’oubli, mais cette histoire s’est écrite dans celle des perdants, ceux qui se référeront à cette finale en pensant « ça s’est joué à ça… ». Ce « ça », c’est les poteaux carrés. Ce « ça », c’est qui sépare un champion éternel à un perdant qui contre son gré le sera tout autant.

L’avant-match

Cette belle histoire stéphanoise s’inscrit dans l’héritage que laissa le Stade de Reims. Premier club français à atteindre ce stade depuis 1959 et une victoire de l’inévitable Real Madrid, l’ASSE se voit offrir une chance rare et de plus en plus enviée au fur et à mesure que la C1, tout autant que le football, devient populaire.

La popularité stéphanoise commença d’ailleurs grâce à cette finale. C’est à cette époque que remonte les traces d’un supporterisme actif dans la capitale forezienne. Bien sûr, il y avait bien longtemps que « Sainté » jouissait d’une ferveur pour le football, mais cette finale donnera au club une nouvelle dimension populaire. Les supporters galvanisés par cette finale ne sont plus uniquement stéphanois mais proviennent des quatre coins de la France. Probablement pas dans la capitale des Gaules en revanche, où la rivalité avec l’ennemi était déjà forte à l’époque. Preuve de cette ferveur, 30 000 Verts sont présents à l’Hampden Park de Glasgow pour assister à une finale qui deviendra mythique, qui opposera donc l’ASSE au Bayern de Munich, emmené par les célèbres Rummenigge et Beckenbauer.

Opposés aux premier et second tours face au KB Copenhague puis au Rangers FC, les Verts ne tremblent pas. Sereins, solides, talentueux, ils disposent facilement de leurs deux adversaires et accèdent à la phase finale, qui à l’époque débute par les quarts. Ces quarts, justement, furent complexe et relevèrent presque de l’exploit. Perdant 2-0 à l’extérieur face au Dynamo Kiev, l’ASSE doit absolument marquer deux buts et ne pas en prendre s’ils veulent entretenir l’espoir de voir un jour Glasgow.

Ils n’en marqueront pas deux, mais trois. Le Chaudron semble avoir eu son effet sur les hommes de l’entraîneur stéphanois, Robert Herbin, qui accèdent à une demi-finale qui s’annonce serrée face PSV Eindhoven, une des meilleures équipes européennes de l’époque, champion néerlandais en titre. Oswaldo Piazza sera le seul buteur des 180 minutes de ces demi-finales, ce seul but qui offrit enfin à un club français l’opportunité de devenir champion d’Europe après 21 ans d’attente.

Déplaçons-nous maintenant en Ecosse, pays fait de légendes, de mythes. Le lieu parfait pour vivre une finale à la hauteur de la réputation du pays hébergeant cette finale. Est-ce les fantômes et autres créateurs surnaturelles faisant l’histoire folkloriques du pays qui hanta les poteaux bavarois ce soir-là ?

Nous y-voilà. Les 22 acteurs entrent sur la pelouse, s’échauffent, se motivent, s’imaginent un coup champion, un coup perdant. Pas le temps pour cogiter, non, on joue une finale de prestige. Karoly Palotai, l’arbitre du soir, siffle le coup d’envoi devant un public de 58 000 personnes largement acquis à la cause stéphanoise.

Le match ; si près, si loin

Au Hampden Park ce soir-là, la pelouse se fondait parfaitement dans un stade au tribunes recouvertes de vert, portant les coéquipiers de Jacques Santini tout au long de ces 90 minutes.

En France ce soir-là, l’hexagone n’affichait plus qu’une couleur à son drapeau d’habitude tricolore ; le vert. Vingt millions de personnes étaient devant leur poste, espérant voir l’ASSE de retour avec un triomphe unique dans l’histoire sportive du pays. C’était un moment sans précédent ; jamais la France n’avait été à la fois unie et passionnée derrière un club. Pas même pour le Stade de Reims, pourtant deux fois finaliste. La dure loi de l’époque à laquelle on joue ; les verts eurent leur période faste en pleine expansion du football à travers l’Europe. Reims n’en était qu’au balbutiement d’un sport qui deviendra Roi.

Et voilà que le cuir est touché pour la première fois par les crampons bavarois, dont six sont champions du monde en titre, lançant les hostilités d’un match qui s’annonce serré.

Dès le début, le ton est donné. Les verts imposent leur style de possession et de passes au bavarois qui, dans le pur style allemand traditionnel, casse le rythme par des fautes et des contre-attaques. Si bien, que dès la troisième minute, un premier frisson recouvre les 30 000 stéphanois présents au stade, puis les vingt millions de français devant leur poste.

Gerd Müller s’offre un face-à-face contre Curkovic, le gardien stéphanois. Le ballon est tiré par l’allemand, qui vient mourir dans les filets français. Seulement, un drapeau se lève, synonyme de position de hors-jeu ; un ouf de soulagement est expiré par la foule stéphanoise quand la joie allemande est tout juste calmée. Joie qui aurait pourtant dû se prolonger : le hors-jeu n’était finalement pas si évident. Ce début de match pose les bases : les allemands sont cruels et terriblement efficaces.

Revelli manque l'occasion d'ouvrir le score
Revelli manque l’occasion d’ouvrir le score

Avertis par cette occasion et cette erreur d’arbitrage, les Verts cherchent tout logiquement à se mettre à l’abri, si bien que lors des vingt premières minutes, les occasions se multiplient et le danger est de plus en plus pressant dans le camp bavarois ; 7ème, 10ème, 13ème 15ème, puis la 19ème minute où à chaque fois les français buttent face à la défense allemande.

Lors de cette période délicate, les allemands ne font pas que résister ; pire ils réussissent à se montrer davantage dangereux. A la douzième minute, Kapellmann déchire la défense française et s’enfonce dans sa surface s’approchant dangereusement de Curkovic. Pierre Reppelini le bouscule, Kapellmann s’effondre. Pendant quelques secondes, le stade retient son souffle mais Monsieur Palotai ne bronche pas. Pas de pénalty.

L’arbitre se fait peut-être un peu trop discret sur ce début de match ; les verts devraient déjà être mené 1-0 et auraient pu offrir ici aux allemands une chance inouïe d’avoir déjà un pied sur le continent européen.

La barre de Bathenay
La barre de Bathenay

Nous sommes à la trente-quatrième minute, le match est plus calme ; un calme que viendra briser Dominique Bathenay. Ce dernier récupère le ballon au milieu, accélère et élimine un adversaire, puis un deuxième, qui n’était « que » le Kaiser Beckenbauer, et décoche une frappe surpuissante du pied gauche. Le ballon flotte, sous le regard inquiet des allemands mais plein d’espérance des français, il descend, la trajectoire semble bonne. Mais un obstacle vient perturber sa descente. Le ballon s’écrase sur la transversale bavaroise qui revient sur la tête d’Hervé Revelli qui ne peut ajuster sa tête. Maier capte ce ballon et vient marquer la fin d’un moment qui deviendra légendaire, si court, mais si intense.

Cet épisode est le premier de la duologie des poteaux carrés, qui hanteront à jamais la mémoire verte mais qui paradoxalement feront sa légende.

Les verts doivent rapidement faire fi de cette espérance trahie, les impitoyables allemands se montrent une nouvelle fois dangereux, d’abord par contre-attaque suite à ce premier poteau stéphanois, puis, deux minutes après, par une frappe surpuissante qui manqua d’ouvrir le score

Le Kaiser mène l’attaque, sert Schwarzenbeck lançant Rumenigge qui frappe le ballon avec une puissance incroyable. Si bien qu’Ivan Curkovic ne capte pas la balle correctement, qui roulera sur la ligne de but avant que Lopez n’intervienne devant Muller pour expédier le ballon en corner. La mi-temps se rapproche, le score lui est toujours vierge.

Six minutes avant cette dernière, un nouvel événement vient écrire le mythe de cette finale. Sarramagna parvient à déborder côté gauche, échappant à la vigilance d’Hansen, et se retrouve libre pour centrer. Santini est seul à 5 mètres du but, et peux reprendre ce ballon de la tête. L’absence de marquage allemand lui donne la possibilité de reprendre ce bon centre dans des conditions idéales. Mais parfois l’idéal ne suffit pas, ce fut le cas sur cette action. Il manque à Santini ou bien quelques centimètres, ou bien une transversale arrondie, comme c’était déjà le cas dans une immense majorité de stades européens à l’époque.

La tête de Santini, deuxième "poteau carré"
La tête de Santini, deuxième « poteau carré »

Le fait est que l’ASSE ne parvient toujours pas à marquer et que cette action vient clore le douloureux épisode des poteaux carrés et ouvra le bal des « Et si… ». Un bal que l’on retrouve encore aujourd’hui, plus de 40 ans après, dans la bouche de certains anciens supporters stéphanois.

Cette mi-temps se termina comme elle a commencé : de nombreuses occasions stéphanoises immédiatement répondue par d’autres occasions allemandes. Le sifflet de l’arbitre retentit et signe la fin de cette mi-temps déjà mythique et qui s’inscrit dans la prophétie du « lorsque ça ne veut pas rentrer, ça rentre pas » pour les verts.

Le réalisme allemand, le mur de Munich

Le temps d’un discours des entraîneurs, le temps de motiver ses coéquipiers et d’espérer un dénouement heureux, le match peut reprendre.

La dynamique est semblable : domination stéphanoise, calme glaçant du côté allemand. Les équipes se rendent coups pour coups, une occasion en entraine une autre du côté opposé, sans que toutefois le score en soit impacté. Rummenigge répond à Sarramagna, Roth répond à Revelli. Revenons sur la réponse de Roth, tiens. Loin d’être anodine, elle est la manifestation que le destin, ce soir, avait choisi son camp. 21h27 est l’heure que l’histoire retiendra comme celle de cette froide manifestation.

Le but de Roth qui condamne les verts
Le but de Roth qui condamne les verts

Muller pousse intelligemment Piazza à la faute. Monsieur Palotai signifie un coup franc indirect aux 20 mètres, légèrement excentré gauche. Beckenbauer frappe et adresse une passe à Franz Roth qui expédie le ballon au fond des filets malgré une détente désespérée de Curkovic. Cette fois, pas de hors-jeu, le but est validé. 1-0 pour le Bayern. Le terrible jugement allemand s’abat sur la tête des stéphanois, et rien ce soir ne viendra retourner ce dernier. Les stéphanois auront beau tenter leur chance dans la demi-heure qui reste, rien n’y fera.

Pire encore, l’ASSE frissonne encore : Hoeness élimine la défense puis décoche une frappe que Curkovic ne pourra que détourner en corner.

Blessé et pas apte à jouer la totalité du match, les espoirs reposent sur les épaule d’un homme qui s’échauffe depuis dix minutes : Dominique Rocheteau. L’Ange Vert aura beau être à l’origine d’une belle occasion stoppée par l’impassible Beckenbauer, lui seul ne suffira pas ce soir à faire changer de camp le destin.

C’est fini, la victoire est allemande. L’ASSE a manqué sa chance dans ce qui est toujours son unique finale européenne. La légende des poteaux carrés commence. Le bourreau des verts, Roth, s’approche timidement de Larqué et lui glisse un « Maillot, bitte.. ». Machinalement, ce dernier le donne à celui qui arracha ses espoirs d’être champion européen.

Larqué

« Quand l’arbitre a donné le coup de siffet final, je n’ai pas compris. J’ai cru à un arrêt de jeu. J’étais persuadé que le match n’était pas terminé. Quand Rocheteau a fait sa rentrée, j’avais le sentiment qu’il nous restait au moins 20 minutes à jouer. 20 minutes pour rattraper le petit but du Bayern. Il en restait en fait 7…

 

Un retour de champion

Comme un écho à France 98 des années auparavant, et le titre en moins, les Verts sont reçus comme de véritables champions, des héros qui ont portés haut les couleurs françaises avant de chuter contre un ennemi redoutablement efficace.

Alors que l’ennemi d’un soir, le Bayern, n’est reçu qu’à un simple repas de gala à son retour au pays, les stéphanois, eux, ont le privilège de descendre les Champs-Élysées portés par 100 000 supporters.

Le peuple vert célèbre sa défaite
Le peuple vert célèbre sa défaite

De cette défaite naquit quelque chose, une âme, une légende. Grâce à ce destin brisé, les stéphanois ont acquis une popularité hors norme à travers l’hexagone qui s’étend même jusqu’à aujourd’hui, où cette épisode douloureux est souvent remis au goût du jour.

Il est parti intégrante de l’histoire du football français. Dans la défaite aussi s’écrit les plus belles histoires.

A propos maestrojuni 3 Articles
La réussite est une succession d'échecs Sauf pour Génésio pour qui l'échec n'est qu'une succession de manque d'humilité