Si le football reste incontestablement le sport-roi, il n’en reste pas moins que ce football reste orchestré par des humains comme les autres. Et que ces hommes sont aussi vulnérables aux catastrophes que peuvent l’être tous les autres. Une après-midi de février 1958, le football est mort dans le vol 609 de la British European Airways. Retour sur une des pages les plus sombres de l’histoire du football anglais.

Le vol du phénix

Avant de s’écraser tragiquement le six février 1958 sur le sol glacé de Munich, ces hommes étaient avant tout intimement liés à Manchester United. Et tout autant liés à un homme, Sir Matt Busby. Cet homme, arrivé en 1945 à la tête du club, a réellement transformé l’institution. Car le challenge qu’il avait relevé correspondait à une escalade de l’Everest pour un unijambiste. Dans les années 30, le club avait été relégué deux fois en deuxième division, et était proche de la faillite. Et en 1941, la Luftwaffe avait bombardé et quasiment détruit Old Trafford, forçant United à jouer chez les rivaux de City, à Maine Road.

Mais ces conditions n’ont pas fait peur à celui qui n’est encore que « Matt ». Le 19 février 1945, il décide de prendre la tête des Red Devils. Car Matt Busby a un rêve : il veut créer des cendres du stade et du club en décrépitude un phénix, renaissant pour devenir encore plus fort. Fier écossais, Matt Busby est issu d’une famille où le travail est une valeur prépondérante. Et surtout, il connaît parfaitement la ville de Manchester, puisqu’il a auparavant connu une carrière de joueur chez les Skyblues. Il remportera même la FA Cup en 1934. Mais c’est bien avec Manchester United qu’il changera la face du football anglais.

Mais l’histoire aurait pu être bien différente. Car quand il arrête sa carrière en 1940 avec Liverpool, son deuxième club, un poste d’entraîneur adjoint lui est proposé. Seulement, Busby est ambitieux. Il veut construire le futur, et veut avoir les mains libres. Et la guerre va lui laisser le temps de réfléchir à son projet.

La renaissance

Et quand Busby arrive à la tête de Manchester United, il sait qu’il doit provoquer la rupture dans la continuité. Il trouve un arrangement avec son prédécesseur, Walter Crickmer, qui reste au club – en tant que secrétaire. Les deux hommes s’entendent bien, et sont dans le même état d’esprit. Crickmer avait en effet, en 1938, créé le Manchester United Junior Athletic Club. Cette équipe, profitant majoritairement aux jeunes joueurs, sera une des fondations du projet de Matt Busby. L’entraîneur écossais va poursuivre la tâche en modernisant la structure du club. Ainsi, il devient un des premiers entraîneurs à temps complet et possédant un bureau, à seulement deux arrêts de bus du stade. Un bureau dont il fera son antre.

Dans ce petit bureau, il n’y avait pas vraiment la place pour le rêve. Ni même le temps. Et pourtant, j’y ai rêvé.

Il embauche vite un assistant partageant la même vision du football que lui, un certain Jimmy Murphy. Ce dernier, un gallois pur jus, sera par la suite pendant six ans sélectionneur des dragons rouges et verts. Ce dernier se charge notamment de la formation des jeunes joueurs. La formation qui est, vous l’aurez compris, un des aspects prioritaires de la théorie de jeu de Matt Busby.

Et après quelques tentatives infructueuses, où l’on peut presque parler de vol du titre aux joueurs de Manchester United, ils remportent enfin la première division en 1952. Cela conforte la place de l’écossais à la tête de l’équipe. Et lui permet de voir vers l’avenir. Mais l’équipe est vieille. C’est donc l’occasion parfaite pour lancer des jeunes joueurs prometteurs.

Le talent brut

Matt Busby n’est pas encore anobli, et son palmarès n’est pas encore énorme. Une coupe en 1948 – le premier trophée du club depuis 40 ans ! – et donc ce titre en championnat quatre ans plus tard. Mais le club est déjà renommé pour son style de jeu tourné vers l’offensive. Car la philosophie de Matt Busby pourrait être cette maxime: il ne dépend que de nous pour marquer des buts ; il ne dépend que de l’adversaire de nous en mettre : marquons donc plus qu’eux !

L’un des premiers joueurs à être lancé par Matt Busby est Roger Byrne. Ce jeune joueur commence à jouer lors des derniers matchs de la saison 1951-1952 au poste d’arrière latéral, et excelle. Il va bientôt être replacé au poste de défenseur central par Matt Busby. C’est avec Jackie Blanchflower, milieu de terrain nord-irlandais, que l’appellation « Busby Babes » commence à voir le jour. Le vol des vautours commence à s’agiter autour de ces deux joueur, mais Busby est ferme : il sont et seront toujours joueurs de Manchester United. Alors le vol s’arrête, et l’admiration commence.

Surtout, cette création de talents ne s’arrête pas là. Le milieu relayeur Mark Jones s’impose dans l’équipe dès la fin de la saison 1951-1952. Eddie Colman, lui, va s’imposer à seulement 16 ans dans l’axe central aux côtés de Roger Byrne. Mais un homme, plus que tous les autres, va marquer les esprits. Cet homme est un garçon dans un corps d’homme. Il a pour nom Duncan Edwards.

Duncan Edwards, de haut vol

Le premier octobre 1936, la ville de Dudley voit naître un garçon qui sera plus tard l’un des meilleurs footballeurs de son époque. Mais c’est surtout un garçon, qui, dès son enfance, est marqué par un destin tragique. En effet, tous ses frères et toutes ses sœurs décèdent avant d’atteindre l’âge adulte.

Ce garçon est surtout absolument talentueux, et est recruté en 1952 par Matt Busby. Sa carrière footballistique commence avec son école, puis avec les -14 ans de l’English Schools FA. Il joue même dans l’équipe scolaire d’Angleterre, contre le Pays de Galle en 1950. Mais déjà, deux ans auparavant, Jack O’Brien, recruteur mancunien, le signale à Matt Busby.

J’ai vu aujourd’hui un écolier de douze ans qui mérite une attention toute particulière. Son nom est Duncan Edwards de Dudley.

Joe Mercer, entraîneur de l’équipe scolaire, demande à Matt Busby de le recruter. En effet, le jeune garçon attire la convoitise d’Aston Villa et de Wolverhampton Wanderers. Avec Manchester United, il gravit peu à peu les échelons avec son ami Dennis Viollet. Et débute en pro en 1953, suite à la blesurre au pied d’Henry Cockbrurn. Et le Manchester Guardian ne s’y trompe pas.

Il montre des promesses de bonne capacités de passes et de tir, mais devra être plus rapide à son poste de milieu de terrain.

Toujours est-il qu’en 1953, il s’impose comme titulaire, numéro six sur le dos. Et sera appelé à un peu plus de 18 ans en sélection. Cela sera jusqu’à Michael Owen le plus jeune international anglais depuis la seconde guerre mondiale ! Mais son histoire rejoint bientôt celle des Busby Babes.

L’apogée des Busby Babes

Cette équipe formée de joueurs originaires du club compte aussi dans ses rangs quelques jeunes talents recrutés intelligemment dans d’autres clubs du royaume. Ainsi, à une époque où les marchés des transferts n’étaient pas régis par les dates actuelles, en mars 1953, les Red Devils parviennent à signer Tommy Taylor. Il arrive de Barnsley pour seulement 29 999£. Tout ça pour ne pas dépasser le plafond symbolique des 30 000£. Et ce recrutement correspond parfaitement à la philosophie de jeu prônée par Matt Busby. En effet, au poste d’avant-centre, il forme un duo formidable avec l’ami de Duncan Edwards, Dennis Viollet. Ces deux là connaissent leur apogée en 1955-1956, où, alignés ensemble à 27 reprises, au moins l’un des deux marque dans 21 des rencontres. Grâce à ces joueurs formidables, Matt Busby et les siens remportent le titre sans difficulté lors de la saison 1955-1956.

Et ce titre permet à Manchester United, pour la première fois, de disputer la Coupe Européenne des Clubs Champions. On ne parle pas encore de remporter la compétition au terme d’une finale épique, mais les ambitions sont déjà bien présentes. Et ce grâce à un effectif d’une moyenne d’âge de seulement 22 ans. Matt Busby aura quelques formules splendides sur eux :

Les marques des couches étaient encore présentes sur leurs corps. Mais ils ne les ont pas montré.

Et les clubs européens commencent à avoir peur de ce Manchester United qui n’a acheté qu’un seul joueur en plus de Tommy Taylor sur les cinq dernières années. Et encore, il s’agit d’un gardien de but, Harry Greg – qui n’arrivera réellement qu’à la mi-saison. Bref, les Busby Babes sont en pleine essor. Et leur vol vers les sommets ne semble que commencer. Il est donc normal que la saison 1957-1958 soit entamée la tête pleine de grandes ambitions.

Le football vrai

Manchester United arrive cependant en Coupe des Clubs Champions sans avoir obtenu la bénédiction de la Ligue. Par conséquent, le club est obligé de passer par les tours préliminaires. Et ce sans trop de difficultés. Les anglais démolissent ainsi Anderlecht 12-0 sur deux matchs (victoire à l’extérieur 2-0 et à domicile 10-0). Après avoir réussi leur plus grande victoire de leur histoire, les hommes de Matt Busby battent aisément le Borussia Dortmund. Mais la demi-finale les verra se faire corriger 5-3 en cumulé par le Real Madrid. Un très grand Real viendra à bout d’un très jeune Manchester, voilà la logique de l’histoire qui semble être respectée.

Et en championnat, l’armée rouge poursuit sa marche. Une marche en avant bien aidée par l’éclosion d’un jeune attaquant nommé Bobby Charlton. Ce dernier marque d’ailleurs un doublé pour ses débuts. Contre une équipe, qui, comme un symbole, est le Charlton Athletic ! On ne peut rêver mieux !

Le championnat revient donc à nouveau dans la poche des mancuniens, avec un très bon duo d’attaque Taylor-Viollet. Et ce même si le meilleur buteur sera l’irlandais Liam « Billy » Whelan, qui inscrira 27 buts ! Un joli total pour le meneur de jeu de 21 ans formé au club ! United devient une équipe admiré de par toute l’Europe, et qui ne perd que sur des coups du sort. Ainsi, la victoire de Aston Villa en finale de FA Cup ressemble plus à un vol qu’à autre chose. Avec dans le rôle du responsable du vol Ray Wood, dont un coup de coude fracturera la pommette du portier de Manchester United !

L’épouvantail européen

Et Manchester United, malgré cette déconvenue, parvient à continuer sa série de victoires en championnat. En effet, ils parviennent à gagner deux matchs après la désillusion contre les Villans. Dont notamment une victoire au terme d’un match âprement disputé contre Arsenal. A Highbury, après avoir été mené au score, les hommes de Matt Busby parviennent à revenir au score et à s’imposer 5-4. Ce match est une partition de maître jouée par les hommes de Matt Busby. Avec un sourire éclatant, il verra Charlton, Edwards et le jeune Eddy Colman maîtriser leur football.

Car la rencontre jouée par Manchester United était splendide, elle se conclura avec un but de Duncan Edwards pour donner la victoire. Lui qui a été vilipendé par la presse pour avoir laissé Arsenal marquer le quatrième but en voulant poser le jeu et en ne dégageant pas assez vite ! Comme un symbole du style de jeu du club.

Idéal avant la rencontre retour du quart-de-finale de coupe d’Europe contre le Red Star Belgrade. Un déplacement qui pourrait permettre au club de revenir en demi-finale en force. Le club assure sa qualification à la fin d’une rencontre où ils ont joué à se faire peur. Mais le match nul 3-3 leur assure de continuer leur route en Europe.

Le jour noir

La date du 6 février 1958 restera à jamais comme l’une des plus tristes dates de l’histoire du football. Vingt-trois personnes, dont huit joueurs et trois membres du staff, perdent la vie au cours de l’accident ou dans les jours qui suivent.

Dans le vol retour de Belgrade, l’avion de l’équipe s’arrête pour faire le plein d’essence à Munich. Dans le vent glacé, sous la neige, la pluie et le verglas, l’avion manque ses deux premières tentatives de décollage. Alors que certains pensent que le vol va être reporté, le pilote, suite à une concertation, décide de tenter une troisième tentative. L’avion prend de la vitesse, mais ne parvient ni à décoller, ni à s’arrêter. Il heurte finalement en bout de course une maison et un dépôt de carburant. Le vol 609 n’arrivera jamais à destination. Et l’on a jamais exactement su les raisons qui ont fait que l’avion n’est pas parvenu à prendre son vol. En effet, l’aéroport rejette la faute sur le pilote, tandis que les autorités britanniques incriminent le mauvais déneigeage de la piste.

Les joueurs Roger Byrne (28 ans), Eddie Colman (21 ans), Mark Jones (24 ans), David Pegg (22 ans), Tommy Taylor (26 ans), Geoff Bent (25 ans), Liam Whelan (22 ans) et quelques semaines plus tard – il y a exactement soixante ans –  Duncan Edwards (21 ans) décèdent. Le secrétaire du club, Walter Crickmer et les adjoints Tom Curry et Bert Whalley décèdent aussi, ainsi que huit journalistes.

Vol 609 – Revivre

Renaître sera très compliqué pour les survivants, dont le coach Matt Busby, anobli quelques semaines plus tard. Celui ci rebâtira son équipe autour des survivants comme Bobby Charlton, Harry Gregg et Bill Foulkes. Il lui faudra dix ans pour reconstruire une équipe, avec notamment le nord-irlandais Georges Best, et les recrues David Herd, Denis Law ou encore Albert Quixall.

Matt Busby sera toute sa vie hanté par la mémoire de son équipe et notamment de Duncan Edwards. Il expliquera bien des années plus tard que c’est la foi en Dieu et la volonté de reconstruire ce que le destin avait détruit qui lui avait permis de sortir de ce lit d’hôpital où il avait reçu l’extrême onction.

« La souffrance est toujours là. Bien au fond. Vous ne vous en débarrassez jamais. Elle fait partie de vous. Vous êtes seul et d’un coup, sans prévenir, elle revient. Alors, vous pleurez. »

Sa femme l’encouragera d’ailleurs à rebâtir son équipe.

« Ce ne serait pas juste pour ceux qui ont perdu quelqu’un qu’ils aimaient. Je suis sûre que ceux qui sont partis auraient voulu que tu continues. »

Alors sir Matt Busby reconstruira, en révant à Duncan Edwards et à ces gamins qui ont perdu la vie… Le 29 mai 1968, il remporte la Coupe des Clubs Champions contre le Benfica, et prend sa retraite six mois plus tard. Il décédera le 20 janvier 1994. Au total, il aura dirigé durant 1141 rencontres les Red Devils. Ses records ne seront battus que par un autre écossais, Alex Ferguson.

Hommages

Duncan Edwards sera à titre posthume promu dans le English Football Hall of Fame en 2002 – bien qu’il n’ai pas joué cinq saisons en Premier League ! Bobby Charlton, un des plus grands, dira de Duncan Edwards des mots splendides.

« Si je devais jouer pour ma vie, et, pour cela, n’être accompagné que d’un seul coéquipier, ce serait Duncan Edwards. C’est le seul joueur qui me faisait me sentir infiérieur. [Sa mort lors du crahs du vol 609] est la plus grande tragédie individuelle qui est arrivée à Manchester United ou à l’équipe d’Angleterre ».

Tommy Docherty également aura des paroles douces à propos de celui qui aurait dui soulever en tant que capitaine le mondial quelques années plus tard.

« Il n’y a aucun doute dans mon esprit que Duncan serait devenu un des plus grands joueurs de tous les temps. Non seulement dans le football britannique, avec United et l’Angleterre, mais même le meilleur du monde. Georges Best était quelqu’un de spécial, tout comme Pelé et Diego Maradona, mais selon mon opinion, Duncan était encore meilleur globalement en termes de capacités et de talents

Une plaque commémorative à Old Trafford et nombre de statues se souviennent des joueurs tués par le destin.

06. 02. 1958 –  A day of memory, Sad to recall, Without farewell, He left us all. (Épitaphe de la tombe de Duncan Edwards).

We will never forget.

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