Waldemar Kita, le polonais spécialisé dans l’agrandissement des pénis, est un mécène à l’ancienne. Et ce dernier était interrogé par Libération. Retrouvons ses propos.
Comment le président du FC Nantes en vient-il à prendre un entraîneur de la dimension de Claudio Ranieri ?
Waldemar Kita : Je suis à la tête du club depuis dix ans. Avant d’engager Claudio Ranieri, j’ai réfléchi. Qu’est-ce qui a marché depuis 2007 ? Qu’est-ce qui a échoué ? Jusqu’à décembre 2016, seuls des coachs français ont entraîné le FCN. Ils étaient performants sur la formation et l’éducation des joueurs. En revanche, ils étaient tous critiques envers la direction du club. Jamais contents ! «Je n’ai pas eu les joueurs que je voulais», «je n’ai pas les mains libres», etc. Je ne parle pas de manque de respect, le mot est trop fort, mais je ne les trouvais pas… corporate. D’accord, ils sont dans le foot depuis vingt ans ou trente ans, ils savent de quoi ils parlent, ils ont les codes de leur milieu. Mais quand même. Les coachs français jouent par exemple avec les médias, qui leur donnent la parole de manière complaisante. La parole de l’entraîneur est facile. Et on entend avec une sorte de neutralité bienveillante la plainte des gentils entraîneurs contre les méchants présidents qui payent. La vérité est que si vous n’êtes pas au club, si vous n’êtes pas plongés 24 heures sur 24 dans le vif du sujet, vous ne pouvez juger ni du travail, ni de l’état d’esprit. Je ne généralise pas, je parle de ma propre expérience : j’étais un diable, un empêcheur. C’est quand même caricatural. Et facile.
Vous parlez de certains entraîneurs ou de certains joueurs ?
Waldemar Kita : Dans le milieu du foot, le joueur est le plus clair. Il ne triche pas. Il donne ce qu’il peut donner. Vous avez des besogneux qui n’y arrivent pas, des types doués qui pourraient faire plus dans un autre contexte… Le joueur fait ce qu’il peut. J’aime les joueurs. Je ne le cache pas. Ils font des choses… attachantes. On a laissé partir libre [c’est-à-dire sans demander une indemnité de transfert, qui aurait freiné les ardeurs du club demandeur, ndlr] à Troyes le défenseur vénézuélien Oswaldo Vizcarrondo, qui était chez nous depuis 2013 : lui et sa femme m’ont écrit une lettre de remerciement de trois pages. Trois pages ! «La première fois que je vous ai rencontré, c’était au Fouquet’s avec celle qui allait devenir mon épouse, je n’avais pas encore d’enfant, etc.» Il m’a expliqué combien le FCN avait bouleversé sa vie, combien le club l’avait accompagné sur les plans personnel et professionnel toutes ces années. La lettre ne quitte plus mon bureau.
Pourquoi un coach étranger ?
Waldemar Kita : Quand j’ai cherché un remplaçant à René Girard, démissionnaire en décembre, il n’y avait pas beaucoup d’entraîneurs français libres. Beaucoup de gens me vantaient les coaches portugais ou espagnols. Un technicien étranger arrive avec une vision différente. Il amène avec lui une autre culture foot : je parle d’habitudes mentales, amicales, managériales et administratives différentes. J’ai entendu parler du Portugais Sérgio Conceição. Et j’ai écouté les réticences de certains à son égard : un type caractériel, capable de claquer la porte pour un oui ou pour un non. Moi, j’ai bien aimé l’homme. A la fois enfant gâté, parce qu’il faut savoir qu’il a signé sa première licence de joueur professionnel au FC Porto [l’un des deux plus grands clubs lusitaniens, ndlr], mais aussi avec des manques : la misère quand il était enfant, une mère disparue très tôt, son père qui se tue en moto au moment où son fils passe pro. Parmi ceux qui ont une revanche à prendre, certains préfèrent la finesse. D’autres manœuvrent. D’autres encore passent en force. Une heure avant un match, Conceição était excessif en tout.
Comment évaluez-vous son travail ?
Waldemar Kita : Il a fait la révolution à Nantes. A chaque entraînement, il exigeait un médecin et deux kinésithérapeutes sur le bord de la touche. C’est le premier que j’ai vu faire ça. Il fallait aussi deux personnes pour ramasser les ballons quand ils sortaient du terrain d’entraînement, pour accélérer le rythme. Vous trouvez que c’est un détail, vous, le fait qu’un entraînement soit rythmé ? C’est le foot ! Quand je suis arrivé à Nantes en 2007, j’ai demandé que les joueurs prennent le petit-déjeuner ensemble. Je me suis fait assassiner. Conceição a imposé les petits-déjeuners en commun. Et les repas de midi : on arrive ensemble, on mange ensemble et on quitte la table ensemble. On ne boulotte pas en dix minutes comme si on était dans un claque. Il a aussi séparé le réfectoire des jeunes de celui des pros : pas question de mélanger. Vous croyez qu’il ne les aime pas, les jeunes ? Rien à voir : il voulait matérialiser une porte séparant ceux-là du monde pro, une porte symbolique. Le joueur en formation doit vivre avec l’idée de traverser cette porte. En attendant d’y parvenir, il doit avoir le regard fixé sur la porte.
Cette porte, c’est le foot ?
Waldemar Kita : Mais non. C’est la vie, la réalité. Un message au joueur : tu vis dans le même monde que les autres, petit gars. Dans les entreprises, on ne mange pas ensemble à midi ? Que l’on fasse du foot ou autre chose, une journée de travail, c’est une journée de travail. Et vous voulez que je vous dise quelque chose ? Les joueurs étaient heureux avec Sérgio Conceição. Pas un blessé grave les six mois qu’il est resté. On voudrait quoi ? Que le joueur traîne dehors toute la journée, qu’il voit des «copains» plus ou moins intéressés, qu’il rentre chez lui pour s’occuper de ses gosses pendant deux heures ? Quand j’expliquais ça aux entraîneurs avant de les embaucher, ils étaient d’accord. Mais après, dans les faits, non. Quand on parle de foot, on parle de culture. Quand je suis arrivé en France à 15 ans, c’est le foot qui m’a ouvert à l’éducation française, le foot qui m’a permis de me faire accepter. J’entends souvent que le foot est con. Mais le foot, c’est ce que vous en faites. Est-ce que Leonardo Jardim, l’entraîneur de Monaco, rend les joueurs cons ? Est-ce que Ranieri a rendu cons les joueurs avec qui il est allé chercher le titre de champion d’Angleterre ?
En dehors de la négociation salariale, quelles sont les exigences d’un entraîneur comme Ranieri ? Des joueurs précis ?
Waldemar Kita : Non. Pas un seul joueur. Il m’a expliqué que l’équipe de la saison passée l’avait séduit, qu’elle aurait pu faire mieux que sa 7e place finale sans un départ catastrophique [ayant conduit au licenciement de Girard] et quelques coups de sifflets de l’arbitre. Je lui ai parlé du projet initié par Conceição et je lui ai expliqué que j’entendais bien le continuer, que les conditions de son départ ne changeaient en rien l’estime que j’avais pour ce qu’il avait fait à Nantes – quand même, il faut être honnête intellectuellement. Conceição était très respectueux, très concentré. Il savait aussi m’emmener où il voulait, «oui président, mais…», il manipule aussi mais c’est normal, on joue avec ça, c’est le boulot.
Souvent, les coachs étrangers viennent avec de nombreux adjoints – physique, kiné, analystes divers… N’est-ce pas beaucoup au regard de la culture française ?
Waldemar Kita : On a déjà un professionnel qui filme les matchs et les entraînements. Ranieri est arrivé avec un assistant vidéo. On étudie l’opportunité d’en prendre un troisième… Mais c’est vrai qu’il y a une limite. Quand une boîte compte plus de secrétaires que de commerciaux, elle a un problème (rires).
Conceição appartient à l’écurie Doyen Sports, un fonds d’investissement portugais qui abrite de nombreux joueurs et coachs. A-t-il insisté pour prendre des joueurs estampillés Doyen, ce qui reviendrait à être en situation de conflit d’intérêts à vos dépens ?
Waldemar Kita : Je vois exactement ce que vous voulez dire et je vous affirme que jamais Conceição ne m’a demandé de prendre quelqu’un. Un joueur de Doyen est venu en prêt en janvier [Sérgio Oliveira, milieu portugais de 24 ans qui a disputé six rencontres la saison passée] et c’est tout. On m’a parlé du Colombien Felipe Pardo, qu’on a eu en prêt aussi et qui est passé par le Portugal [d’où les soupçons d’influence de Doyen sur la venue de l’attaquant] mais c’est faux, c’est Christian Karembeu qui m’a appelé pour le faire venir à Nantes et Karembeu travaille pour l’Olympiakos Le Pirée. On m’a marié avec Doyen mais non, ce sont des histoires colportées par des agents qui ont vu les portes se fermer.
Les entraîneurs étrangers ont-ils un style ?
Waldemar Kita : La «philosophie» de jeu des coachs… Ça me fait rigoler. Comment veux-tu installer un système de jeu indépendamment des footballeurs que tu as sous contrat ? Conceição changeait souvent de système après quinze, vingt minutes de jeu : le temps de comprendre ce que fait l’adversaire et de trouver une parade. Et on ne comprend pas pourquoi un coach ordonne des entraînements à huis clos ? Il était dans le détail, la précision, «tel joueur rentre sur son pied gauche»… Conceição travaillait tellement qu’il était complètement crevé. Mais il n’a jamais proposé deux fois le même entraînement aux joueurs.
C’est l’AS Monaco qui a ouvert la voie aux coachs étrangers en Ligue 1. Or, ces succès sont aussi liés à la politique monégasque, qui consiste à faire progresser les joueurs pour réaliser des bascules énormes. Les entraîneurs étrangers sont-ils meilleurs pour faire progresser les joueurs ?
Waldemar Kita : J’ai un problème personnel avec ça : intellectuellement, je ne peux pas admettre qu’un homme soit une marchandise. Ça m’empêchera sans doute de gagner de l’argent dans le foot, mais c’est ainsi. Caricaturer le foot n’est pas une chose normale. Un joueur est une personnalité, un parcours, une éducation. Il possède un talent unique et des rêves particuliers. Comme un médecin ou un ingénieur. A Nantes, on avait pensé prolonger la formation intellectuelle et culturelle aux joueurs qui le souhaitaient. Ils ont parfois quitté l’école très jeune. C’était une façon d’assurer des cours de rattrapage, d’ouvrir les esprits, d’accompagner leur développement en tant qu’homme. Nous ne l’avons pas fait parce que les emplois du temps sont difficiles à ajuster. Pourtant, je reste persuadé qu’un club doit assumer ce rôle-là.
Un entraîneur de prestige comme Ranieri a-t-il aussi une utilité médiatique ?
Waldemar Kita : Bien sûr. La presse respecte un CV. Et ça va au-delà. Lors des entraînements d’avant-saison, il y a eu jusqu’à 3 000 personnes pour venir regarder. Les gens ont dû se garer n’importe où. Certains m’ont envoyé la contravention en m’expliquant que c’était à moi de la payer. Je suis habitué. Depuis dix ans, j’ai fait face à quelques factures.