L’ancien bordelais Johan Micoud s’est exprimé sur le site d’Actufoot. Retrouvons une partie de son interview.

Depuis l’arrêt de votre carrière, en 2008, que devenez-vous ?

J’ai investi dans les vignes sur un Pomerol, le Château La Connivence depuis janvier 2008. Un an après ma carrière, j’ai rapidement travaillé à la télévision comme consultant, pour garder un œil et un regard sur le foot. Aujourd’hui, je travaille pour la chaîne L’Equipe. Et, depuis le mois d’août, je suis à la présidence de l’AS Cannes pour mettre en place mes idées et celles de ceux qui m’accompagnent pour retrouver une équipe compétitive qui puisse évoluer au niveau qu’elle mérite.

« Tu te fais une raison »

Est-ce que le jeu vous manque ?

Non. Tu te fais une raison. J’ai arrêté à 35 ans. Ca me titille, mais je ne peux plus physiquement. C’est une question de mental, d’état esprit aussi. Tu le sens tout seul. Alors, tu laisses la place. J’ai continué de jouer avec des potes dans les 5 – 5. J’ai fait quelques jubilés à Brême devant 45 000 personnes pour fêter l’arrêt de carrière de joueurs avec qui j’ai joué (Ailton et Frings). C’était sympa.

Vous avez évolué en France, en Allemagne et en Italie. Quelle différence faîtes-vous entre les trois championnats ?

J’ai l’impression qu’en France, c’est un mix des deux. Il y a la philosophie de bien défendre avant tout, mais il y a aussi une telle qualité de joueurs offensifs que cela nous donne des matches fantastiques, tournés vers l’attaque. En Italie, l’axe principal, c’est de bien défendre, d’empêcher l’adversaire de marquer. En Allemagne, c’est l’inverse. On joue au foot devant des gens. Il faut donc créer, marquer un but de plus que l’adversaire.

C’est la philosophie qu’on t’apprend. L’objectif est de marquer des buts, ce qui permet d’avoir un spectacle énorme. J’ai joué là-bas de 2002 à 2006 où l’idée était de préparer la Coupe du Monde. Ils ont mis une formation calquée sur celle à la française. Il y a une philosophie qui est encore là, qui perdure. La technique a progressé. Ils ont conservé la mentalité de ne rien lâcher. Mais ils ont aussi formé des jeunes joueurs, qu’ils ont intégrés. Ils posent le football, avec beaucoup de mouvement.

« Vers l’avant, ça me plaisait »

Quel entraîneur vous a marqué ?

J’en ai rencontré pas mal de très bons. J’ai pioché dans chacun un peu pour essayer d’être un joueur le plus complet possible. Guy Lacombe et Richard Bettoni pour l’ensemble, à Cannes. Tous les jeunes avaient une culture qui se ressemblait. Il y avait un esprit de jeu, une intelligence sur le terrain. Il fallait s’adapter, il y avait énormément de réflexion dans la façon de voir le foot. Roland Courbis avait une vision du foot particulière. Il aimait le jeu, il aimait gagner, la grinta. Il avait cet esprit du Sud où on ne lâche jamais, on s’accroche. En Italie, il y avait une culture défensive, ce n’est pas mon meilleur souvenir. Thomas Schaaf, mon entraîneur à Brême, avait une philosophie tournée vers l’avant ça me plaisait.

« On a un grand projet »

Pourquoi avoir choisi de devenir président de club plutôt qu’entraîneur ?

J’ai passé mon BEF (Brevet d’entraîneur de football) la saison dernière. J’ai eu l’opportunité de plonger dans un rôle de président avec mon club de coeur, Cannes, j’ai accepté. J’avais envie de mettre la main à la pâte. J’ai pris ce poste dans l’esprit de structurer et de mettre en place ce que j’ai appris. Il faut se professionnaliser pour se maintenir au plus haut niveau chez les jeunes. Chez les seniors, il faut instaurer une dynamique pour monter les étapes, une à une, vers le monde professionnel. On a un grand projet pour une grande ambition.

Mais le terrain me plaît aussi. J’ai une certaine vision du foot, pouvoir la transmettre, c’est passionnant. Je m’occupe du sportif. On a beaucoup d’échanges avec les éducateurs sur la manière dont je vois le foot. Ce n’est pas impossible de me voir sur un banc. Il faut une vraie envie d’y aller. Je respecte les éducateurs. Il y a une vraie transmission, un vrai travail de tous les jours. Il faut de la passion pour transporter ça. Peut-être qu’aujourd’hui, je ne me sens pas prêt de franchir ce pas. C’est quelque chose de très particulier.

« Être le plus sincère possible »

Quel est votre avis sur le rôle du consultant ?

J’essaye de toujours conserver un état esprit de joueur pour analyser, de le faire comme si j’étais à leur place. Je peux être critique vis-à-vis de certaines attitudes. Mais, par rapport à ce que j’ai vécu, c’est très dur être joueur, d’être performant. Ca demande des efforts, des sacrifices. Je peux fustiger car l’attitude n’est pas là. Mais je peux être compréhensif par rapport aux résultats et une baisse de régime, car je sais que c’est difficile. J’essaye en fait d’analyser sur un côté technique, tactique. Je ne veux pas me rapprocher juste du résultat. Je veux être le plus sincère possible, sans arrière-pensée. Car j’essaye d’avoir une analyse plus grande. C’est pour ça que j’essaye de ne pas avoir d’informations internes pour ne pas me laisser influencer. D’ailleurs, ma principale idée, c’est ça : être le plus sincère possible vis-à-vis du téléspectateur.

« Le club est au dessus de la personne »

Quel regard portez-vous sur l’évolution du football ?

Il y a notamment la dernière, avec la vidéo. J’espère qu’ils ne vont pas accepter, parce que ça enlève l’émotion. Ils disent que c’est plus juste mais ce n’est pas sûr. Pour être le plus juste possible, on va arrêter le jeu toutes les deux minutes. On va dire qu’il y a des injustices, mais je suis prêt à accepter ça pour garder l’émotion du foot. Après, il y a d’autres évolutions. Comme partout. Il y a de bonnes personnes et de moins bonnes. J’entends que, dans les clubs, c’est difficile d’instaurer des règles de vie. Quand on est à la tête d’un club, on doit faire des efforts.

Les jeunes doivent être orientés. Car je n’ai jamais entendu, à l’étranger, des soucis vis-à-vis des jeunes. Il faut en fait inculquer le respect des uns vis-à-vis des autres pour que les gamins sachent où ils mettent les pieds. Il faut qu’on dise quoi faire ou pas, sinon le jeune sait que, s’il fait une connerie, il sera sanctionné. Si on ne sanctionne pas, on n’évolue pas. Le club est au-dessus de la personne. S’il y en a un qui dépasse les bornes, tant pis pour lui.

« Bielsa a amené beaucoup »

Et l’évolution dans le jeu ?

C’est difficile. L’Allemagne a connu une évolution fantastique dans l’esprit, le jeu, le spectacle, l’attaque. La Ligue 1 a connu vachement de saisons tristes. Les entraîneurs étaient frileux. Ce qui ne permettait pas d’avoir de grands matches. Depuis deux-trois ans, il y a quelque chose de différent vers un rôle plus offensif. C’est difficile à mettre en place, mais j’espère qu’ils vont amener les équipes vers cette philosophie-là. Il y a quelqu’un qu’on a beaucoup critiqué, mais je pense qu’il a amené énormément de bonnes choses, le fait de créer, d’attaquer, c’est Bielsa.

On a toujours essayé de trouver l’équilibre. Lui est arrivé pour amener le déséquilibre pour trouver des solutions. Tout le monde a dit qu’il était fou, parce qu’il y a des espaces de folie. Mais les entraîneurs se sont inspirés de cet esprit-là. Ça fait du bien à la Ligue 1. D’autant que, chaque année, tu perds de très bons joueurs et chaque année, t’es encore là. Les pessimistes pourraient dire qu’on peut faire mieux. Mais il ne faut pas oublier que tous les ans, énormément de joueurs partent

« Les clubs français sont là »

Pensez-vous qu’un club français peut gagner la Ligue des Champions dans 3-5 ans ?

Ils ont les structures. Ils essayent d’apprendre année après année. Aujourd’hui, comme l’a rappelé Ancelotti, aucun club ne commence la saison en disant qu’il va gagner la Ligue des Champions. C’est la compétition la plus difficile à gagner. Il y a de grosses cylindrées. A force d’apprendre, ils vont aller plus loin et, pourquoi pas, atteindre l’objectif final. Paris et Monaco ont les moyens financiers et les joueurs pour être performants dans la durée. Aujourd’hui, il y a plus d’espoirs qu’il y a cinq-six ans.

Rien que de poser la question montre une évolution. Il y a 5 ans, atteindre un huitième ou un quart étaient des exploits, hormis Monaco en 2004. Aujourd’hui, il y en a deux qui, chaque année, apprennent, essayent de passer des caps. Il y a deux ans, la Juventus élimine Monaco de peu, avec un pénalty oublié, et va en finale. Et les clubs français sont là.

« Les joueurs grandissent »

Que pensez-vous de l’équipe de France et de son importance pour le pays ?

Deschamps a fait un énorme boulot. Il a mis en place une ligne de conduite. C’est ce qui manquait, après les événements de 2010. Il a construit un groupe pour être compétitif. Ça a failli réussir en 2016. Le jeu n’était pas flamboyant. Mais il y a une mentalité de gagnant. Les joueurs grandissent. Ils sont allés chercher les résultats. La France n’est peut-être pas la meilleure dans le jeu, mais il y a un vrai potentiel pour rivaliser dans le jeu avec les plus grandes nations. Certaines sont au-dessus, mais la France n’est pas loin. L’équipe de France a d’ailleurs toujours eu une grande importance. Après 2010, quelques-uns ont boudé. Aujourd’hui, ça revient de plus belle. Il y a un autre état esprit. Car il y a une envie de se battre pour le maillot et les gens le ressentent.

« C’est la base, le partage »

Quel est le souvenir le plus fort que vous gardez de votre carrière ?

J’ai eu la chance de vivre plusieurs souvenirs. J’ai une grande fierté, c’est d’avoir pu faire quelque chose de particulier dans chaque club où je suis passé (montée avec Cannes, champion avec Bordeaux en 1999, vainqueur de la Coupe d’Italie avec Parme, doublé Coupe-Championnat avec le Werder Brême, victoire en Coupe de la Ligue en 2007 avec Bordeaux, victoire à l’Euro 2000). A chaque fois, en fait, j’ai eu la chance d’avoir pu participer à un énorme moment positif. Il y a eu cette joie et ce partage avec les supporters. C’est la base, le partage.

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