La finale de Copa Libertadores opposant Boca Juniors à River Plate promettait d’être un match fabuleux, hors du temps. La manche retour a commencé par un caillassage en règle du bus par les supporters de River. Mais ces gens-là aiment-ils le football ?

La confusion

Essayons un instant de nous placer dans le cerveau d’un de ces caillasseurs de bus. Le bus transportant les joueurs de l’équipe adverse arrive, et là, en une fraction de seconde, la décision est prise. Prendre une pierre, une cannette, une barre de fer, n’importe quoi, et lancer l’objet violemment contre le véhicule en mouvement. Un acte d’un grand courage et d’une grande intelligence, à n’en pas douter. En effet, dans la vie en société moderne, quoi de plus normal que d’attaquer quelqu’un que l’on n’aime pas qui passe dans la rue ?

C’est vrai, le football transforme les individus. Mais il ne doit pas le faire devenir plus bêtes qu’ils ne sont. Aucune personne normalement constituée ne peut cautionner de tels agissements, à moins de faire preuve d’un manque élémentaire d’éducation et de civisme. Et je ne pense pas que les caillasseurs de Buenos Aires soient des délinquants chevronnés, multi-récidivistes et engagés dans de nombreuses procédures judiciaires. J’aime à penser que ce ne sont que des supporters très engagés pour leur équipe.

Mais qu’ils réfléchissent une seule seconde, si tant est que cela leur est possible. Quels bénéfices leur équipe peut-elle tirer d’une absence d’adversaire ? Car jusqu’à preuve du contraire, le football ne peut pas se pratiquer sans adversaire. Un pénalty marqué sans gardien n’a pas la même saveur. Et il n’y a pas plus inutile que d’aller contre ses propres objectifs. Il semble cependant que ce soit la voie choisie par les lanceurs de pierres. Se sont-ils pris pour David contre Goliath ? Vouent-ils un culte à un groupe de tireurs d’élite ? Rien n’est moins sûr. Mais aiment-ils réellement leur équipe ?

Aiment-ils l’essence même du jeu ?

Aiment-ils l’essence même du jeu ? La question mérite d’être posée. Vouloir affaiblir son adversaire hors du terrain est déjà d’une incomparable bassesse. L’ambiance et la passion ne doivent pas faire oublier que le football est un sport de gentlemans. La ferveur et la folie inhérentes au football sud-américain ne doivent pas faire oublier que le match ne peut se jouer et prodiguer ses émotions que si les deux parties sont valablement constituées. Demandez à n’importe quel supporter. Préfère-t-il gagner un derby face à un adversaire en pleine forme ou face à sa pale copie, éclopée, chétive et malingre ? Aucun ne répondra la deuxième option. Le propre d’un match à enjeu, c’est d’avoir lieu, de se passer. Sans ballon sur le terrain, rien ne transpirera. Sans âme, sans puissance, sans bonheur.

C’est ce qu’ils font au football quand ils osent s’en prendre à l’intégrité physique d’un de leurs adversaires, hors du terrain. Sur la pelouse, tout est permis : l’arbitre est là pour inciter à ne pas transgresser les règles. Mais hors du terrain, il faut vraiment se détester soi-même, détester sa propre équipe plutôt que son adversaire et mentir à ce que l’on croit pour en arriver là.

A chaque action, le jeteur de pierre devra soupeser le poids de sa propre culpabilité. Veut-il que son fils suive le même chemin ? Veut-il voir ses enfants grandir depuis un parloir de prison ? Pourra-t-il un jour seulement s’en rendre compte ? Si l’on ne respecte pas les acteurs du jeu, si l’on ne prend pas en considération les êtres humains, alors le football sera bon à jeter. Bon à jeter au vide-ordure. Ses restes seront brûlés et dispersés au vent. A cause d’hommes qui n’aiment pas le football.

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« Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on le peut reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui ». (Jonathan Swift, 1667-1745)