Troisième étape de notre série consacrée aux entraineurs qui ont marqué l’histoire du football. Après les italiens Arrigo Sacchi et Vittorio Pozzo, nous nous intéressons aujourd’hui à Hugo Meisl. Il fut l’entraîneur qui mena l’Autriche à la gloire dans les années 1930, à la même période que Vittorio Pozzo. Retour sur l’un des fondateurs de « l’école Danubienne », qui mérite largement sa place au panthéon du football. 

Un profil atypique

C’est le 16 novembre 1881 qu’Hugo Meisl voit le jour dans un village d’Autriche. Né dans une famille aisée, son frère est journaliste et ses parents travaillent dans la finance. Hugo a une carrière toute tracée dans ce domaine. Il étudie en école de commerce dans plusieurs pays. Mais ce qui passionne le jeune autrichien n’est pas la finance. C’est le football. Il sacrifie donc une carrière dans la finance et une vie aisée pour vivre de sa passion. Il commence en étant arbitre, où il gravit les échelons jusqu’au niveau international. Le fait qu’il parle huit langues l’aide beaucoup.

Il arrête assez rapidement et devient secrétaire général de l’association autrichienne de football au début de l’année 1912. Lorsqu’il accepte ce rôle, Hugo Meisl a un objectif bien précis : professionnaliser le football non seulement en Autriche mais dans toute l’Europe. Il est nommé entraîneur de la sélection Autrichienne en fin d’année 1912. Son premier match se déroule le 22 décembre de la même année dans un froid glacial à Bologne. L’Autriche s’impose 1-3 face à l’Italie. Meisl est probablement loin de se douter que vingt ans plus tard, la sélection italienne et la sienne feront parties des meilleures du monde et qu’elle seront les plus grands rivaux.

Meisl à l’aube de révolutionner le football mondiale

Hugo Meisl est très ambitieux, il veut mondialiser le foot et le mener à la gloire. En 1927, il crée la Coupe Mitropa. Il s’agit de la première coupe européenne de club. Elle oppose les meilleurs clubs d’Europe centrale. Les pays participants sont l’Autriche, l’Italie, la Hongrie, la Roumanie, la Suisse, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie. Pour l’anecdote, le premier vainqueur fut le Sparta Prague contre le Rapid Vienne. La même année, après avoir développé la compétition européenne, Hugo Meisl créé la Coupe Internationale européenne, cette fois ci destinée aux sélections. Les pays participants sont l’Italie, l’Autriche, la Hongrie, la Suisse et la Tchécoslovaquie. Le premier vainqueur est l’Italie d’un certain Vittorio Pozzo.

Une rencontre qui changera l’histoire de la tactique dans le football

En 1912, Hugo Meisl fait la rencontre de Jimmy Hogan, qui entraînait au Pays Bas. Il rencontre également un certain Herbert Chapman, tout juste nommé entraîneur de Leeds United. Jimmy Hogan utilisait à l’époque la tactique écossaise : un style de jeu technique et réfléchi fait de passes courtes. Meisl convainc l’anglais de venir avec lui en Autriche.

Herbert Chapman (au milieu) et Jimmy Hogan (droite). Crédit : Thesefootballtimes

Après avoir enseigné à Meisl la tactique et le style de jeu qui réussie tant en Ecosse, Hogan quitte l’Autriche pour la Hongrie lors de la première guerre mondiale. Meisl, quant à lui est appelé et part à la guerre. En Hongrie, Jimmy Hogan pose ses valises dans la capitale pour entraîner le MTK Budapest. Il sera à l’origine de l’époque dorée qui fera de la Hongrie l’une des meilleures nations du monde sous Gustav Sebes quelques décennies plus tard.

A son retour de la guerre, Meisl décide de reprendre ses activités liées au football. Il reprend la tactique que lui avait enseigné Hogan, surnommée Scottish Style ou encore Keep It On The Carpet. Herbet Chapman aide aussi le jeune autrichien en lui enseignant la fameuse tactique WM, tant réputée en Angleterre.

La tactique d’Hugo Meisl

Hugo Meisl a beaucoup apprit d’Herbert Chapman et de Jimmy Hogan. Il pousse cependant la tactique du second au maximum. Meisl voulait que son équipe réalise le plus de passes possible. Il est l’un des premiers entraineurs au monde à encourager ses joueurs, et plus particulièrement son avant centre à dézoner. Son idée est que celui ci recule de sa position initiale. Il aura ainsi plus de possibilités et pourra se démarquer du marquage adverse. Lorsqu’il dézone, un autre joueur vient prendre sa place, créant une confusion dans la défense adverse.

« Il n’y était guère question de marquage strict ni de science exacte. On y pratiquait un football de source, laissant libre court aux qualités naturelles, à l’inspiration, mais remarquablement synchronisé, précis, élégant, je dirais même « musical » et comme inspiré des valses de Strauss dans ses entreprises offensives, vers lesquelles tout son effort était tendu. »

– Jacques De Ryswick, à propos de la Wunderteam

Après le changement de la règle du hors jeu en 1925, l’entraîneur autrichien crée sa propre version du WW de Vittorio Pozzo, abandonnant ainsi le WM de Chapman. La version mise en place par Meisl montre une version plus à plat que celle de Pozzo. Les défenseurs jouent le hors jeu par leur positionnement haut sur le terrain. Les inters quant à eux ne sont positionnés que quelques mètres derrière les attaquants. Hugo Meisl met un point d’honneur à l’activité de ses ailiers. Il veut que ces derniers coupent le terrain grâce à des courses diagonales afin de se projeter vers l’avant et créer le surnombre.

L’organisation tactique mise en place par Hugo Meisl (crédit : proboards)

La sélection autrichienne pratique ainsi un jeu plutôt agréable à voir, fait de nombreux décalages et recherchant constamment des espaces entre les lignes. Le jeu pratiqué est toujours au sol, et Meisl demande à ses joueurs de faire autant de une-deux que possible pour accélérer le rythme. En défense, Hugo Meisl exige une défense en zone. L’équipe, très compacte, permettait de garder l’adversaire loin du but. En résumé, la tactique et la philosophie de jeu d’Hugo Meisl avec l’Autriche est comparable à celle du FC Barcelone de Guardiola des années 2010. Ce n’est pas pour rien que la sélection autrichienne fut surnommée la Wunderteam (équipe merveilleuse).

La Wunderteam

Une équipe qui ne cesse de surprendre et de monter en puissance

La sélection Autrichienne est donc rapidement surnommée Wunderteam par les journalistes de l’époque tant son jeu est plaisant à voir. Les hommes d’Hugo Meisl remportent la Coupe Internationale Européenne lors de la seconde édition de l’histoire, en 1932. Lors de la compétition, ils sont notamment venus à bout de l’Italie de Vittorio Pozzo sur le score de 2-1 après avoir accroché le point du nul en Italie lors de la phase aller. On retiendra également l’humiliation infligée à la Suisse, avec une victoire 8-1. Entre 1931 et 1934, la Wunderteam, ne concède que trois défaites en trente-et-une rencontres, inscrivant notamment cent-un buts !

La Wunderteam avec Hugo Meisl (crédit : 90min.com)

Angleterre – Autriche 1932, une défaite mythique

L’une de ces trois défaites a lieu le 7 décembre 1932 dans le mythique stade Stamford Bridge de Londres. L’Autriche affronte l’Angleterre, plus grande nation du monde. Le duel s’annonce passionnant. L’Angleterre est invaincue dans son histoire, l’Autriche est invaincue depuis quatorze rencontres. Parmi cette série d’invincibilité, certains scores ont de quoi faire trembler les Anglais. Une victoire 0-6 en Allemagne puis 5-0 contre cette même Allemagne à domicile. Mais aussi les fameuses victoires contre l’Italie et la Suisse, et enfin, une victoire 5-0 contre l’Ecosse. C’est une leçon de football qu’avait infligée l’Autriche ce jour-là à Vienne. Pour l’anecdote, ce fut la première défaite de l’histoire de la sélection écossaise.

Lors de ce match contre l’Angleterre, un homme va guider la sélection autrichienne et impressionner la foule de par son placement surprenant et jamais vu auparavant. L’attaquant Matthias Sindelar, surnommé Der Papierene (l’homme de papier) était tout simplement inarrêtable.

« Matthias Sindelar, c’est ce grand gaillard de 25 ans, pâle, frêle, qui est tout en os et peu en chair. C’est une merveille de finesse et d’intelligence. Sindelar n’attend jamais de pied ferme ; aussi n’est-il jamais surpris. Il est prêt pour la réception ; il la provoque, et il est si bien placé et démarqué que la passe est utilisée au mieux des intérêts de l’équipe. Courant dans le prolongement de la direction suivie par le partenaire en possession du ballon, ou coupant cette ligne, ou s’engageant dans une voie nouvelle, Sindelar surprend, fatigue, use le demi centre chargé de le marquer. »

Gabriel Hanot, journaliste français réagissant à la performance de l’autrichien après une lourde défaite de l’Equipe de France au Parc des Princes (0-4, le 16 février 1933).

Malgré la performance de l’autrichien, les hommes d’Hugo Meisl s’inclinent 4-3 lors d’un match d’une intensité exceptionnelle. Cette défaite ne fit pas changer d’avis la presse concernant la qualité de la Wunderteam. L’équipe fut même désignée vainqueur morale. Pour la Coupe du Monde 1934, l’Autriche est favorite avec l’Italie, pays hôte de la compétition. L’Angleterre se voit refuser de participer à cause de son niveau. En effet, l’Italie considérait à l’époque que l’Angleterre était trop forte et qu’il n’y aurait eu aucun suspense si elle participait.

La Wunderteam tout proche de la gloire

Quelques jours avant le début de la Coupe du Monde, l’Autriche affronte l’Italie en amical. Les deux favoris de la compétition mènent une rencontre de haut niveau, et c’est l’Autriche qui finit par s’imposer sur le score de 4-2. L’Autriche part donc favorite de cette deuxième Coupe du Monde de l’histoire. Seize nations prennent part à cette édition : l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la France, la Hongrie, les Pays-Bas, la Roumanie, la Suède, la Suisse, la Tchécoslovaquie, le Brésil, l’Argentine, les États-Unis et l’Égypte.

L’Autriche débute donc sa compétition en huitième de finale, étant donné le format à seize équipes. Le tirage au sort les opposent à la France. Les hommes de Meisl surprennent et déçoivent en ayant besoin d’aller jusqu’aux prolongations pour obtenir leur place en quarts-de-finale. Grâce notamment à un but de Sindelar, l’Autriche s’impose 3-2. Dans le même temps, l’Italie humilie les Etats Unis 7-1 à Rome. Au tour suivant, c’est contre la Hongrie que l’Autriche tente d’obtenir sa place dans le dernier carré. Les hongrois, tombeurs de l’Egypte (4-2) en huitième-de-finale font tout de même figure d’outsider. Devant 23 000 spectateurs à Bologne, l’Autriche s’impose 2-1 suite à un match convaincant où l’addition aurait pu être plus sévère.

La demi-finale oppose donc l’Autriche à l’Italie, qui a eu besoin de rejouer son match contre l’Espagne en quart de finale. En effet, les tirs aux buts n’existant pas à l’époque, si une équipe fait match nul à l’issue des prolongations, le match est rejoué le lendemain. C’est donc avec seulement deux jours de repos et l’équivalent de deux matchs et demi dans les jambes que l’Italie fait face au favori de la compétition, à Milan.

Tristes tropiques

C’est à ce moment que Benito Mussolini entre en scène. En effet, le Duce Italien décide « d’inviter » messieurs Ivan Eklind, Louis Baert et Bohumil Zenisek, arbitres de la demi finale qui a lieu le lendemain. Si la conversation est restée confidentielle, les journalistes comprennent rapidement les menaces qu’ont du recevoir les arbitres. En effet, la demi-finale, gâchée par un arbitrage lamentable, passe mal auprès des amateurs de football non italiens et des autres sélections. Le pays hôte s’impose par le plus petit des scores. Malgré le fait que ce match ait été truqué, cette rencontre fut l’occasion de voir un duel de méthodistes entre Pozzo et Meisl. L’Autriche ressort blessée de cette mésaventure, et s’incline même lors de la petite finale contre l’Allemagne (3-2), alors qu’elle avait eu tant de facilité à les battre quelques années auparavant.

La légende Autrichienne Matthias Sindelar (crédit : FourFourTwo)

Deux ans plus tard, lors des Jeux Olympiques de Berlin en 1936, l’Autriche réalise une  nouvelle fois un beau parcours en atteignant cette fois ci la finale de la compétition. Malheureusement, c’est une nouvelle fois contre l’Italie et Pozzo que Meisl et ses hommes s’inclinent sur le score de 2-1. A noter que l’Autriche peut remercier le Comité Olympique puisque le Pérou s’était imposé 4-2 contres les Autrichiens en quart de finale mais furent disqualifiés après que des supporters péruviens aient envahis la pelouse pour fêter la qualification.

La fin tragique d’une ère mythique

Le 24 janvier 1937, Hugo Meisl dispute son dernier match à la tête de l’Autriche au Parc des Princes contre l’Equipe de France. L’Autriche s’impose 1-2. Hugo Meisl n’a ni démissionné, ni été renvoyé. Il disparaît brutalement suite à une crise cardiaque le 17 février 1937 à l’âge de 55 ans.

Un an plus tard, le mythique Matthias Sindelar refuse de participer à la guerre pour l’Allemagne nazie. Lors d’un match contre l’Allemagne, il célèbre son but en allant provoquer les nazis présent dans la tribune présidentielle. En mars 1938, l’Autriche est annexée par l’Allemagne et la plupart des joueurs de la Wunderteam sont forcés de jouer pour l’équipe d’Allemagne. Matthias Sindelar refuse et prend sa retraite. Il meurt empoisonné le 23 janvier 1939, à seulement 35 ans.  S’il n’y a aucune source officielle, il ne fait peu de doutes que ce soit la Gestapo qui soit à l’origine de sa mort. C’est ainsi tout une génération qui s’envole prématurément.

Nul ne sait ce qu’aurait fait Hugo Meisl sans la corruption présente lors de la Coupe du Monde 1934, ou encore après l’annexion de l’Autriche, lui qui a dédié toute sa vie à la sélection autrichienne. Ce qui est sûr, c’est qu’il restera à jamais comme l’un des pères fondateurs de la tactique footballistique.

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