Dans un monde du football où les matchs sont aujourd’hui observés minutieusement, il paraît compliqué de devenir un joueur de haut niveau sans talent ni références. Pourtant, un homme y est parvenu. Retour sur l’histoire hors du commun de Carlos Kaiser.

Un enfant comme tous les autres

Carlos Kaiser, de son vrai nom Carlos Henrique Raposo est un enfant brésilien comme tous les autres. Né le 2 avril 1963 à Rio Pardo, il commence à jouer au football dès son plus jeune âge. Malgré sa ressemblance avec Franz Beckenbauer – qui lui fait prendre le surnom « Kaiser » – Carlos joue à la pointe de l’attaque. Et il devient au tournant des années 70 le joueur qui occupe la pointe de l’attaque des équipes de jeune Botafogo. Impressionnant avec le club de régates, il signe en 1973 pour le Flamengo, toujours en catégories de jeunes. Une carrière brillante semble se dessiner devant lui. Et ce d’autant plus qu’en 1979, dans un tournoi, les mexicains du Puebla sont impressionnés par ses qualités et veulent le signer.

Alors Carlos Kaiser signe au Mexique, et passe une saison entière sans jouer le moindre match. Durant cette saison un peu galère pour lui, une idée lui vient à l’esprit. Dépassé à l’entraînement par ses coéquipiers, et malgré son jeune âge, il planifie déjà une carrière de long terme. Mais cette carrière, il ne prévoit pas de la passer en tant que joueur de football, mais en tant que membre d’une équipe.

Tout s’accélère quand il retourne au Brésil, dans son club du Botafogo, en 1980. Carlos Kaiser signe un contrat de six mois, avec de fortes primes. Quand tout à coup, à son premier entraînement, sa cuisse le lâche. Il demande à aller à l’infirmerie, et est absent trois semaines. Un coup dur pour une carrière qui se lance alors tout juste. Ou pas.

Carlos Kaiser, le magicien

« Je faisais des mouvements bizarres à l’entraînement, je me touchais la cuisse, et je restais une vingtaine de jours à l’infirmerie. À cette époque, la résonnance magnétique n’existait pas »

Carlos Kaiser

Car la blessure de Carlos Kaiser est tout sauf réelle. Il s’agit d’une simulation grotesque, destinée à l’envoyer hors des terrains pour au moins quelques semaines. Et ainsi que l’on ne découvre pas son niveau réel. Tout marche comme sur des roulettes jusqu’au jour où il doit faire son retour à l’entraînement. Mais là, il a une autre idée.

Il se pointe à la session avec un énorme téléphone à la main, et parle en anglais dans celui-ci. Il fait croire avec succès à son entraîneur être en relations avec des clubs européens qui tentent de le recruter. Cela le force donc malheureusement  à s’absenter de l’entraînement pendant quelques jours. La farce marche bien jusqu’à ce qu’un kiné anglophone le grille, et découvre que l’objet n’était qu’un jouet.

Pas grave pour Kaiser, qui signe au Flamengo, et use des mêmes stratagèmes. Il profite de son statut de footballeur pour sortir dans les meilleurs bars de la ville. Là, il se lie d’amitié avec de nombreux footballeurs brésiliens. Parmi eux, Carlos Alberto Torres, Renato Gaucho ou encore Ricardo Rocha. Ces amis lui seront précieux dans le futur. Mais pour l’instant, Kaiser cherche juste à éviter de jouer le moindre match. Alors pour la peine, il va voir un ami dentiste, et se fait obtenir un faux certificat pour une douleur infectieuse aux dents. Carlos Kaiser est interdit de sport pendant plusieurs mois, et met fin à son contrat au bout d’une nouvelle belle saison d’imposture.

Et même en France

Carlos Kaiser signe à l’issue de ce contrat en France, au Gazélec Ajaccio. Là, il surprend les supporters en s’intégrant très vite dans la mentalité du club. Et ce grâce à sa présentation en grande pompe.

« Le stade était petit, mais plein de supporters. Je pensais que j’allais seulement entrer sur la pelouse et saluer. Mais ils avaient mis des ballons sur le terrain.»

Carlos est effrayé : devra-t-il faire semblant de jouer au foot, et ainsi faire des jongles avec le ballon ? Mais il a une idée de génie, que les supporters corses déchaînés à l’arrivée du brésilien vont adorer.

«Je ne savais pas quoi faire, alors je les ai tous dégagés dans les tribunes et je me suis mis à embrasser l’écusson du club. Les fans étaient hystériques. Je n’allais pas me faire griller le premier jour… »

En 1987, il quitte le Gazélec d’Ajaccio, sans avoir joué le moindre match, et s’en va en Argentine. Mais afin de ne pas rester sur un échec, il fait parler ses relations dans la presse. Un article au Brésil est publié, le décrivant comme le meilleur buteur du Gazélec. Surtout, l’article insiste sur le fait que Carlos Kaiser a joué dans le club corse pendant huit saisons… Huit saisons en tant que meilleur buteur, bien évidemment.

Aux Talleres de Cordoba et à Independiente, il est présenté par un agent véreux nommé « Alejandro ». Se faisant passer pour un ami de Jorge Burruchaga, il fait croire aux clubs qu’il a auparavant joué dans l’équipe victorieuses en 1984 de la Copa Libertadores et de la Coupe Intercontinentale. Carlos Kaiser persuade ensuite ces clubs qu’il a pour nom Carlos Enrique, qui était alors réellement un coéquipier de Burruchaga.

La fin de l’imposture

Après ces très courtes expériences argentines, il revient au Brésil, son pays natal. Là, il signe au Bangu, grâce justement à son réseau d’amis. Il leur fait croire qu’il est convoité par la sélection mexicaine grâce à son passage au Puebla, mais ne veut pas y aller et doit pour cela trouver un club au Brésil. Mais tout ne se passe pas comme prévu. En effet, au Bangu, Carlos Kaiser est mis sous pression par son président, Carlos de Andrade. Celui-ci demande en effet à son entraîneur de faire jouer sa recrue du mercato.

Et Carlos Kaiser part à l’échauffement dans un match que Bangu perd déjà 2-0. Alors qu’il s’apprête à rentrer en jeu, il frappe violemment un supporter et est exclu par l’arbitre pour avoir provoqué une bagarre général. Un joli stratagème de sa part pour s’en tirer. Surtout quand on sait qu’il dira s’être battu… pour protéger l’honneur de son président, traité de voleur par les supporters. Grâce à ce mensonge, Carlos Kaiser est prolongé de six mois et est félicité par son entraîneur.

Finalement, après un cours passage en 1989 aux États-Unis avec les Shooters d’El Paso puis un retour d’une saison au Brésil entre l’America RJ et le Guarany FC, la fraude Carlos Kaiser met fin à sa carrière au cours de l’année 1991. Au compteur, une petite vingtaine de matchs répartis sur dix ans de carrière. Et quand on le questionne aujourd’hui sur ses regrets, Carlos n’en exprime aucun.

« Les clubs ont arnaqué et arnaquent encore beaucoup de footballeurs. Il fallait bien que quelqu’un se venge pour eux. »

La fraude Carlos Kaiser coule aujourd’hui des jours heureux, et peut se féliciter d’avoir été, à sa façon, une des grandes légendes du football brésilien.

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